Marc Chagall - La création de l'homme
Associer puissance et tendresse peut surprendre. Ces deux notions ne sont-elles pas contradictoires ? C’est pourtant à cela que nous conduit le texte d'Esaïe 49,7-15 . Dans le tissage des mots, un nouveau monde surgit, avec sa grammaire et sa dynamique propres. Une nouvelle compréhension de Dieu, aussi, capable de chambouler le sort de celles et ceux qui pensaient leur avenir fermé, leur vie finie.
Le printemps au cœur de l’hiver
Quelques versets suffisent pour passer d’une saison à l’autre. Par le seul fait de la Parole du Seigneur. Oui, il parle. Pas en l’air ni au tout-venant ni même à de nobles interlocuteurs. Ce Dieu-là choisit d’adresser sa Parole à celui que les hommes et les dominants méprisent, considèrent comme abject, esclave. Le Seigneur lui annonce un avenir qui retourne les identités et l’ordre jusqu’alors établi : rois et princes l’honoreront, genou à terre ; le pays lui-même, effondré, va être relevé, les patrimoines dévastés seront redistribués ; les prisonniers vont s’entendre dire : « sortez ! » et ceux qui sont dans les ténèbres : « paraissez ! ».
La tendresse pour énergie
Celui qui est à l’œuvre dans cette Parole n’est pas un nouveau despote qui se substituerait à ceux qui ont été déchus. Le Seigneur n’est pas en quête de toute-puissance. Il travaille à autre chose, depuis d’autres lieux, intérieurs, depuis son sein maternel. En effet, la racine hébraïque que l’on traduit par « tendresse », « miséricorde », « compassion » (versets 10, 13, 15) désigne une partie du corps féminin, l’utérus. Dieu déclare s’engager, telle une femme enceinte, à une nouvelle création, à un nouvel exode, pour ceux qui n’existent plus guère, prisonniers et humiliés. Portés dans le sein/la tendresse de Dieu, ceux qui sont appelés à vivre cet exode d’un genre nouveau sont assurés d’être nourris, abreuvés et protégés des difficultés de la route. Le Seigneur lui-même sera leur berger, leur bon berger, qui veillera à aplanir tous les obstacles qui empêcheraient le retour.
Aussitôt dit aussitôt là
Dans cette nouvelle création, les temps se télescopent : le futur est déjà du passé ; ce qui était projeté comme un avenir survient, déjà incarné : « Les voici ! Ils reviennent de loin … » et cette expression est aussi à entendre au sens figuré. La création toute entière est convoquée comme témoin pour célébrer dans la jubilation cette renaissance que la tendresse de Dieu a rendu possible : « Ciel, applaudis ! Et toi, terre, réjouis-toi ! Montagnes, criez de joie ! ».
Mémoire vive
Au temps de l’Exil à Babylone, Sion, l’Epouse du Seigneur, a pensé que son Epoux l’avait oubliée. Elle reçoit des mots qui balaient toute crainte d’abandon et attestent fermement la fiabilité de l’alliance. Cette solidité repose en lui ; il est fidèle, sûr. Pour preuve, sa Parole qui puise, pour la troisième fois, à une métaphore maternelle : « Est-ce qu’une femme oublie le bébé qu’elle allaite ? Est-ce qu’elle cesse de montrer sa tendresse à l’enfant qu’elle a porté ? Même si elle l’oubliait, moi je ne t’oublierai jamais ».
De génération en génération
Cette page du livre d’Esaïe, comme de nombreuses autres de ce recueil, a vivement inspiré celles et ceux qui, plusieurs siècles plus tard, ont cherché à comprendre Dieu, manifesté en Jésus, mort et ressuscité. Comme si ces textes avaient servi de matrice. A votre tour, vous pourriez, inspirés par ces écritures et dans le prolongement de leur travail poétique, vous interroger sur la place de la tendresse de Dieu dans votre vie et ses effets.
Sophie Schlumberger, animatrice biblique