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La croix, un sacrifice ?

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(La Crucifixion, Georges Rouault)

Loin d'une logique sacrificielle, l'apôtre Paul comprend la Croix comme une instance critique des logiques humaines...

L'inter­pré­ta­tion sa­cri­fi­cielle de la mort de Jé­sus pro­vo­que un em­bar­ras chez beau­coup, quand elle n'est pas –avec raison– con­tes­tée. Elle est en ef­fet dif­fi­ci­le­ment com­pré­hen­si­ble ou ­ac­cep­ta­ble par un es­prit con­tem­po­rain fut-il chré­tien. Mais, cette con­tes­ta­tion lé­gi­time abou­tit par­fois à l'évi­te­ment des ré­cits de la Pas­sion, ou à leur ré­duc­tion à la mort du juste per­sé­cuté. Elle abou­tit sur­tout sou­vent au re­jet de Paul sup­po­sé être à l'ori­gine de cette dé­sas­treuse com­pré­hen­sion. Or, un exa­men at­ten­tif de ses let­tres au­then­ti­ques mon­tre que cette in­ter­pré­ta­tion de la mort de Jésus en est ab­sente. ­Plus gé­né­ra­le­ment, elle est mar­gi­nale dans le Nou­veau Testament, et quand le lan­gage sa­cri­fi­ciel y est utilisé, c'est sou­vent dans le ca­dre d'une com­pré­hen­sion non sa­cri­fi­cielle (Romains 3,21-31 ; Hébreux ; Apocalypse). Il sor­ti­rait des li­mi­tes de cette page d'évo­quer tous les tex­tes en ques­tion, concen­trons-nous donc ici sur Paul puis­qu'il fait fi­gure de prin­ci­pal ac­cu­sé.

 

C'est en 1 Co­rin­thiens 1,18-25 que l'apô­tre pré­sente de la fa­çon la plus synthé­ti­que sa pensée. Il crée pour cela une ex­pres­sion ori­gi­nale : “La pa­role de la croix” ; une formulation uni­que, mais dont la subs­tance sert de fon­de­ment à l'Évan­gile pau­li­nien. Que si­gni­fie donc cette ex­pres­sion ?

• Pour Paul, la croix est une pa­role. C'est-à-dire qu'elle est mes­sage, et non acte de sa­lut effi­cace en lui-même. Mais si, comme évé­ne­ment qui fait sens, “la croix” est une pa­role, que dit-elle ?

• Comme l'apô­tre le dé­ve­loppe dans ce pas­sage, et ailleurs avec d'au­tres ter­mes, la parole de la croix est un mes­sage pa­ra­doxal par na­ture et par né­ces­si­té : seul le scandale de la faiblesse et le non-sens de la fo­lie de Dieu peu­vent ébran­ler les lo­gi­ques  et sys­tè­mes de valeur des "Juifs et Grecs". Ici, "Juifs et Grecs" ne dé­si­gnent pas deux peu­ples particu­liers mais deux at­ti­tu­des hu­mai­nes fon­da­men­ta­les : la quête de (toute-)puis­sance et la quête d'om­ni­science, bref, la maî­trise de tout, être "comme des dieux" dans le langage de Genèse 3,5. La com­pré­hen­sion de la croix comme pa­role dit bien à la fois sa fai­blesse et sa puissance po­ten­tielle : l'ef­fi­ca­ci­té de cette pa­role dé­pend en­tiè­re­ment de sa ré­cep­tion, mais si elle est re­çue, elle peut li­bé­rer ce­lui qui la re­çoit des vai­nes quê­tes hu­mai­nes.

La pa­role de la croix s'of­fre donc comme un point de vue cri­ti­que. Elle pro­pose une trans­for­ma­tion du re­gard por­té sur soi-même, sur les au­tres et sur le monde (2 Corinthiens 5,15-17), ain­si qu'une li­bé­ra­tion des lo­gi­ques de do­mi­nation, de com­pé­ti­tion, de per­for­mance, d'ex­clu­sion… En effet, que Dieu ait res­sus­ci­té le Cru­ci­fié, le “mau­dit pen­du au bois” (Galates 3,13), en le dé­cla­rant fils (Romains 1,3), re­con­nais­sant ain­si une pleine di­gni­té à ce­lui qui avait été dépouillé de tout, cela ou­vre à toutes et à tous une re­con­nais­sance in­con­di­tion­nelle (Galates 3,26-29).

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(l'expression “La parole de la croix" en grec)

Cette in­ter­pré­ta­tion ra­di­ca­le­ment nou­velle de la mort de Jé­sus donne toute sa force à la pensée de Paul et n'a rien à voir avec la lo­gi­que sa­cri­fi­cielle. 

 

De fait, l'in­ter­pré­ta­tion sa­cri­fi­cielle de la mort de Jé­sus s'est dé­ve­lop­pée du­rant les premiers siè­cles du chris­tia­nisme. Elle sem­ble s'être pro­gres­si­ve­ment im­po­sée en même temps que le dis­po­si­tif re­li­gieux char­gé d'ad­mi­nis­trer le dit “sa­cri­fice”. Mais ce n'est qu'au 12ème siè­cle qu'An­sel­me de Can­tor­bé­ry don­ne­ra sa forme qua­si ca­no­ni­que à cette compré­hen­sion non seu­le­ment sacri­fi­cielle mais aus­si subs­ti­tu­tive de la mort de Jé­sus. Il le fera en ré­fé­rence à l'imaginaire féo­dal et ju­ri­di­que qui était le sien, bien loin des sens bi­bli­ques du sa­cri­fice. Malheu­reu­se­ment, les Ré­for­ma­teurs res­te­ront par­tiel­le­ment dépendant de cette formulation, même quand ils au­ront l'in­tui­tion d'au­tres compréhensions plus néo­tes­tamen­tai­res. De nos jours, cette com­pré­hen­sion est pro­mue par le ca­tho­li­cisme do­mi­nant et les ten­dan­ces du protes­tan­tisme qui li­sent Paul avec les lu­net­tes d'An­sel­me.

Pour­tant, après bi­entôt 2000 ans, l'in­ter­préta­tion orig­i­nale et non sac­ri­fi­cielle pro­po­sée par l'apô­tre est tou­jours éton­nam­ment per­ti­nente.                                                                                                              Pa­trice ROLIN

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(l'article ci-dessus est paru
dans le journal Évangile et liberté d'avril 2014) 

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Pour un développement plus détaillé, lire : 

La parole de la Croix

et pour aller plus loin, lire La religion crucifiée,

un livre de François VOUGA chez Labor & Fides 2013

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(Saint-Paul, Etienne PARROCEL 1740)

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