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Le père, la jeune fille et la mort

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Dans le livre des Juges, le sang coule à flots. Guerres, meurtres et vengeances s’enchaînent sans répit. 

Au milieu du livre, un bref récit semble livrer le point d’orgue de ce déchaine-ment de violences : un père sacrifie sa fille (chap. 11).  Retour sur une parole pour la mort...

Tragédie biblique 

Chef de guerre respecté en Israël, Jephté, à la veille d’une bataille décisive, prononce un funeste vœu : si le Seigneur lui donne la victoire, il offrira en holocauste la première personne qui sortira de sa maison quand il y reviendra. Lorsque Jephté rentre chez lui, victorieux, c’est sa fille, son unique enfant, qui sort de la maison, en dansant, pour l’accueillir. Mais rien ne fera revenir Jephté sur les paroles qu’il a prononcées et malgré la douleur de sa fille et la sienne, il s’acquitte sur elle du vœu qu’il a fait.

Jephté devient alors un homme sans descendance, sans avenir, et ses victoires à venir n’y changeront rien.

Ce petit récit évoque d’autres textes de la Bible ou de la littérature :

- Le sacrifice d’un enfant fait immanquablement penser au récit de la ligature d’Isaac (Genèse 22). Pourquoi Dieu n’intervient-il pas pour sauver la fille de Jephté ?

- Le roi Saül, après avoir prononcé un vœu, veut faire périr son fils Jonathan qui, par ignorance, a transgressé l’interdit énoncé dans le vœu (1 Samuel 14). C’est le peuple qui oblige Saül à revenir sur sa parole.

- La tragédie grecque d’Iphigénie, fille victime de la promesse faite par son père à une divinité, se tient en parallèle de l’histoire de la fille de Jephté. Dieu a-t-il donc accepté le vœu de Jephté en lui donnant la victoire au prix de la vie de sa fille ?

Or dans ce récit, Dieu semble absent. Comme s’il s’agissait de faire réfléchir le lecteur qui aurait l’image d’un Dieu intervenant systématiquement dans les affaires humaines. 

Le pouvoir des mots

Rien ni personne n’a forcé Jephté à prononcer son vœu, surtout pas Dieu. Le chef de guerre s’est lancé tout seul dans un marchandage dont il ne se charge pas du prix : c’est un autre, celui qui sortira le premier de la maison, qui paiera de sa vie. Le récit précise pourtant bien que l’Esprit de Dieu est sur Jephté (11,29), mais cela semble ne pas suffire à l’homme. Par le vœu, il espère lier Dieu, le forcer, l’obliger à lui donner la victoire. Jephté veut que rien ne lui échappe dans ce combat, même pas Dieu. Il tente donc de mettre la main sur lui, sans plus réfléchir.

Jephté parle trop, trop vite, trop fort. L’écho de ses paroles recouvre tout ce qui pourrait ouvrir une autre issue que la mort de sa fille. Lorsque celle-ci, lui répétant ses propres mots, lui permet d’entendre ce qu’il a dit comme venant de l’extérieur, il n’entend pas la prétention à se mettre à la place de Dieu. Pas plus qu’il ne saisira l’occasion des deux mois de délai qu’elle lui demande avant de mourir pour réfléchir, revenir, se détourner de l’absurdité et de le malheur dans lesquels il a enfermé son destin et celui de sa fille. Et c’est lui, le bourreau, qui va se plaindre auprès de sa victime des conséquences de ce qu’il va lui faire : ‘‘Ma fille, tu m’accables !’’ (11,35)

Jephté tient à sa parole plus qu’à tout. Mais n’est-ce pas une caractéristique de quelqu’un qui doute de lui-même et de Dieu? 

En mémoire d’elle

La conclusion de ce récit indique un mémorial institué par les filles d’Israël : une retraite de quatre jours par an pour célébrer la fille de Jephté. Qu’y a-t-il donc à célébrer ? les pleurs de la vierge tuée ? la fille soumise ? On ne trouve nulle part ailleurs de trace de cette fête. Seul ce récit étire son souvenir jusqu’au lecteur. Voici une postérité bien éclatante pour la fille qui ne devait pas en avoir !

En quittant leur maison et leur famille,  les filles d’Israël quittent ces lieux qui peuvent être ceux de la mort lorsque les bouleversement politiques et sociaux fragilisent les sociétés et les peuples. Car ce sont bien les plus faibles, femmes et filles, qui payent le plus lourd tribut lorsque les forts, ou plutôt ceux censés l’être, se trouvent eux-mêmes fragilisés. Ce sont bien les plus vulnérables qui payent l’assurance que les forts veulent se donner de leur puissance lorsque celle-ci est ébranlée. C’est peut-être bien par la protection, par l’attention portée à ces faibles que passe, en situation de crise, la préservation de la vie et de l’espérance.

 Dominique HERNANDEZ

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(l'article ci-dessus est paru dans Paroles Protestantes de novembre 2012)

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 En lien avec cet article, lire :

 Juges 11

La Bible est-elle injuste avec les femmes ?

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(Lamentation de la fille de Jephté, Bible de Maciejowski vers 1250)

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