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EMOUNAH, PISTIS, la foi

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L'hospitalité d'Abraham, Marc CHAGALL

Comme beaucoup d'autres mots que des siècles de théologie ont surchargés d'un sens spirituel et spécialisé, le mot foi a aussi eu des sens communs, des sens profanes auxquels renvoient parfois les mots hébreu et grec qui sont traduits par foi dans les Bibles en français.

Un mot de la Bible, par Patrice Rolin...

Dans le de tous les jours, de nombreuses expressions utilisent ce mot "foi" : 

 • Il y a pour commencer l'expression "ma foi"… 

Un "ma foi" qui peut-être suivi d'un "pourquoi pas" peu enthousiate, et presque dubitatif, ou d'un "c'est bien vrai" plus affirmatif.
Un "ma foi" qui signifie simplement "en effet", comme quand une certaine marchande de foie de la ville de Foix, s'écrit 'ma foi' !

Et puis, il y a "la foi du charbonnier" pour signifier une crédulité naïve, peu réfléchie. Une crédulité ainsi que la chante Georges Brassens dans Le mécréant : 
——«J' voudrais avoir la foi, la foi d' mon charbonnier, 
——Qui est heureux comme un pape, et con comme un pannier. …» 

On prendra aussi position "En toute bonne foi"… signifiant par là, que même si l'attitude adoptée ou la position prise est mauvaise, elle est malgré tout sincèrement pensée comme bonne.  

• A l'opposé de la "bonne foi", il y a donc  "la mauvaise foi" qui désigne une position sciemment mensongère. Une malhonnêteté intellectuelle, une attitude qui, personnellement, m'insupporte.

On parlera encore d'un "témoin digne de foi"… c'est-à-dire quelqu'un aux propos de qui, ou aux  affirmations de qui ont peut "ajouter foi" ;  c'est-à-dire les considérer comme exacts.

• Dans le même sens "Sur la foi de…" ou "faire foi", renvoient à l'idée d'une attestation dont la validité ou l'autorité est reconnue.

Et puis il y a "La foi patriotique" qui désigne un dévouement totale à la cause de la patrie, un type de foi qui se fait rare de nos jours !

A l'inverse, il y a ceux que l'ont considère à tort ou à raison comme des gens "sans foi ni loi" ; signifiant par cette expression une absente de respect pour quoi que ce soit, une absence totale de valeurs, que ces valeurs soient religieuses ou autres.

Plus technique, il y a aussi "la ligne de foi", c'est-à-dire le trajet de la lumière, la ligne du rayon visuel, dans un instrument de visée optique… ainsi une certaine réglementation helvétique stipule que “1.) Une ligne de foi correspondant à la position de l’antenne doit se superposer à l’image radar jusqu’au bord de l’écran. 2.) La largeur de la ligne de foi, mesurée au bord extérieur de l’écran, ne doit pas être supérieure à 0,5 degré. 3.) L’appareil radar doit être pourvu d’un dispositif d’ajustage permettant de corriger tout écart azimutal de montage…” 
L'idée est donc ici de s'assurer au mieux de la précision d'un instrument. Afin bien sûr qu'on puisse lui faire confiance.

• A l'inverse, et pour terminer cette énumération, pour le philosophe, la foi est une croyance non fondée sur des arguments rationnels. Ce qui ne veut d'ailleurs pas nécessairement dire que la croyance en question soit erronée, mais simplement que sa véracité éventuelle n'est pas de l'ordre de la rationalité, de l'objectivité démontrable. 

Après ce tour d'horizon des nombreuses utilisations du mot foi dans des acceptions profanes en français, plongeons-nous dans la Bible pour découvrir les mots qui dans les langues originelles sont ainsi traduits.


Dans la Bible Hébraïque, l'Ancien Testament des chrétiens, le mot hébreu ’eMoûNaH  dérive de la racine verbale ’aMaN  qui renvoie à l'idée d'être élevé, être vérifié, être stable, être durable ; ou encore, suivant les modes de ce verbe être sûr, ou avoir confiance
De fait, les traducteurs de la Bible en français n'ont que rarement rendu ce mot hébreu par le français "foi". C'est un des étonnements quand on consulte les différentes éditions de la Bible en français : seule la Bible en Français Courant utilise le mot 'foi" à 95 reprises dans l'Ancien Testament ;  dans la Traduction Œcuménique de la Bible, dans la Nouvelle Bible Segond, ou dans la Bible de Jérusalem, c'est seulement 15 à 35 fois ; et dans les autres versions moins courantes, moins de 10 fois ! 
Et encore, le plus souvent le mot foi y est utilisé dans les expressions "digne de foi" ou "de bonne  ou de mauvaise foi". C'est un peu comme si le mot foi était réservé par les traducteurs au Nouveau Testament et la foi chrétienne !  Ce qui serait bien évidemment inaceptable.

- Ce qui tempère cette remarque, c'est que la traduction juive de la Bible du Rabbinat Français n'utilise pas non plus souvent le mot foi pour traduire 'eMoûNaH  et les mots qui en dérivent.

- De fait, si le mot foi est peu présent dans les traductions françaises de l'Ancien Testament, c'est que les traducteurs ont souvent choisi, avec raison, de rendre ce mot par "confiance".

- Un autre élément qui relativise cette rareté du mot foi dans nos traductions françaises de l'Ancien Testament, c'est le fait que les mots liés à la racine ’MN  sont effectivement peu fréquents  dans la Bible Hébraïque (150 fois environ).  

S'ils sont peu fréquents, ces mots apparaissent dans des passages très importants comme la promesse d'une nombreuse descendance faite à Abraham (Genèse 15,6) où nous lisons : 
Abram eut foi dans le Seigneur. 
C'est pourquoi le Seigneur le considéra comme juste."

Ou encore quand Dieu fait alliance avec Moïse  (Deutéronome 7,9) :
Reconnaissez que le Seigneur votre Dieu est le seul vrai Dieu. 
Il maintient pour mille générations son alliance
avec ceux qui obéissent à ses commandements,
il reste fidèle envers ceux qui l'aiment."

Il s'agit ici de la fidélité de Dieu, dans laquelle on peut donc avoir confiance.

C'est encore dans le cadre d'une promesse, la promesse faite à David (2 Samuel 7,13-16) qu'on retrouve ce mot 'eMoûNaH
"… ma fidélité ne te sera pas retirée …" dit Dieu à David.  

Dans ce passage, comme dans le précédent, la fidélité semble être plutôt un attribut de Dieu qu'une qualité humaine ! C'est encore le cas chez le prophète Esaïe et dans les Psaumes, où il s'agit le plus souvent de la fidélité  de Dieu. Et dans ce cas le mot est quasiment synonyme de HeSed (la grâce, la miséricorde).

 Ainsi, les mots français les plus souvent utilisés sont  fidélité, sincérité, conscience, vérité, loyauté, stabilité, constance, confiance, … 
C'est cette idée de confiance qui rend le mieux le sens du mot ’eMoûNaH .

• Le mot âMéN provient de la même racine. 

Une petite histoire peut aider à en comprendre le sens : Quand une caravane traverse le désert pour amener des marchandises jusqu'à la ville où elles pourront être vendues, c'est toute une petite troupe qui se déplace avec les chameaux qui portent les charges. Il y a parfois des jours ou des semaines de voyage, d'oasis en oasis, pour atteindre le but. Et chaque soir un campement s'installe. Au matin, quand tout le monde a replié les tentes, rechargé les bêtes le chef de la caravane crie pour demander si tous sont prêts à repartir, alors on lui répond en criant 'Amen !', ce qui signifie “c'est bon, on peut y aller, on te fait confiance pour nous guider au travers du désert jusqu'à la prochaine oasis” (et l'on sait que ce peut être une question de vie ou de mort !). 

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Le Amen prononcé à la fin des prières ou des prédications, n'est donc pas un point final, c'est au contraire un point de départ, pour redémarrer dans la foi, dans la confiance en Dieu qui nous guide (c'est un peu ce que l'on retrouve dans le 'Ainsi soit-il' qui joue quelquefois le même rôle que  'Amen').

- Dans l'Ancien Testament, la notion de foi trouve donc son sens profond dans la relation de confiance entre deux personnes, entre Dieu et l'être humain ; la fidélité de Dieu et la confiance du croyant sont désignées par un même mot.

 

Dans le Nouveau Testament, le mot traduit en français par "foi" est le mot pistis

Ce mot qui peut signifier foi renvoie aussi à la confiance ou encore à la fidélitéIl en va donc comme dans la Bible Hébraïque, en grec, dans le Nouveau Testament, le mot pistis  renvoie lui aussi à la notion de confiance (en Dieu), ou à la notion de fidélité (de Dieu). 

De son côté, le verbe pisteuô (souvent traduit par “croire”) provient d'une racine contenant l'idée d'attachement, “être lié à…”.

• Le Nouveau Testament emploie très souvent ces mots  pistis  ou pisteuô  (environ 550 fois), en particulier dans les épîtres. Parmi ces très nombreux passages lisons quelques versets de la lettre de Paul aux Galates, dans un passage où il oppose le fait d'être justifié par l'obéissance à la Loi, au fait d'être justifié par la foi (Galates 3,6-11)  :
–—" … C'est ainsi qu'il est dit au sujet d'Abraham :
–—«Il eut confiance en Dieu, 
–——et Dieu le considéra comme juste
–——en tenant compte de sa foi.”
–—Vous devez donc le comprendre : 
–——ceux qui vivent selon la foi
–——sont les vrais descendants d'Abraham.
–—L'Écriture a prévu
–——que Dieu rendrait les non-Juifs justes à ses yeux 
–——à cause de leur foi. 
–—C'est pourquoi elle a annoncé d'avance
–——à Abraham cette bonne nouvelle : 
–——"Dieu bénira toutes les nations de la terre à travers toi."
–—Abraham a cru et il fut béni ;
–——ainsi, tous ceux qui croient sont bénis comme il l'a été.

… et plus loin … 

–—Il est d'ailleurs clair
–——que personne ne peut être rendu juste aux yeux de Dieu 
–——au moyen de la loi, car il est écrit :
–——"Celui qui est juste par la foi, vivra." …

Pour Paul c'est donc la confiance en Dieu qui est l'essentiel.

La lettre aux Hébreux (11,1) définira la foi comme :
–—"… Mettre sa foi en Dieu, c'est être sûr de ce que l'on espère, 
–—c'est être convaincu de la réalité de ce que l'on ne voit pas.
Pour l'auteur une conviction certes, une certitudes, mais elle s'exerce vis-à-vis d'une réalité encore à venir, une réalité qu'on ne voit pas. Par nature, la foi est donc risque de la confiance.  

Pour sa part, la lettre de Jacques (chap.2) rappellera que la foi doit montrer sa vitalité par des actes qui lui sont conformes. Il ne s'agit donc pas seulement d'une disposition intérieure, d'un sentiment intime, mais d'une dynamique qui vise l'action.

L'évangile de Jean enfin n'utilise jamais le nom pistis (foi), mais il utilise à lui seul le verbe pisteuô (croire en…) autant de fois que tout le reste du Nouveau Testament ! C'est que cet évangile développe tout une pédagogie qui veut amener les croyants à une foi adulte, une qui ne se contente pas de croire que Jésus a fait des miracles, mais un foi qui en comprend le sens profond. 

• Dans les écrits tardifs du Nouveau Testament, on voit apparaître discrètement une nouvelle signification du mot foi, une signification qui renvoie au contenu de la foi, à l'enseignement ; Colosiens 2,7 ; Jude 3.20) ; une signification qui renvoie plus à la doctrine qu'à la relation de confiance. Malheureusement, dans la théologie chrétienne classique, cette idée de contenu de la foi (c'est-à-dire : croire que des faits, ou des doctrines sont vraies, bref la croyance), cette compréhension statique, a souvent remplacé la foi comme relation dynamique de confiance avec Dieu.

Et pourtant, au 4ème/5ème siècle déjà, le théologien Augustin distinguait bien entre 

–—- "la foi qui croit en …"  

–—–—–—(c'est-à-dire la confiance,
–—–—–—comme attitude spirituelle et existentielle ;
–—–—–———Augustin parlait de la fides qua creditur, en latin)

–—- et "la foi qui croit que …"

–—–—–—(c'est-à-dire, l'adhésion au contenu d'un 'credo',
–—–—–—'la foi de l'Eglise', le 'dépot à conserver et transmettre'
–—–—–—comme diraient les lettres à Timothée ;
–—–—–———Augustin parlait de la fides quae creditur en latin)

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Saint Augustin en prière, Sandro BOTTICELLI (1480)

–—Avec Augustin, et avec l'essentiel des textes de la Bible Hébraïque, comme ceux du Nouveau Testament, ne confondons donc pas la foi avec la croyance (voire avec la crédulité !). Et rappelons-nous que la foi qui ouvre à la vie, ce n'est pas la foi comme “bonne doctrine”, ni la foi comme “croyance qu'un certain nombre de faits ont matériellement eu lieu”. 

Non, la foi qui ouvre à la vie, c'est la confiance en celui qui nous appelle.   

 Prenons donc garde à ce que nos confessions de foi ne soient pas des listes de dogmes, mais des affirmations, des expressions de la confiance qui nous anime, et qui se nomme, la foi.

Patrice ROLIN

 —•o0O0o•—

L'article qui précède est le texte de l'émission
“Un mot de la Bible” sur Fréquence Protestante 100.7 FM
du samedi 4 décembre 2004.
 

—•o0O0o•—

En lien avec cet article, lire : 

• Galates 3,1-18 "Tous fils et filles de la promesse"

• AMEN dans la Bible hébraïque et la Septante

 


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