Le mot stoma est un mot grec, et peut-être vous dites-vous
que pour une fois vous comprenez le grec !
En effet, stoma fait penser à notre mot "estomac".
Et il s'agit bien de la même racine,
mais entre le grec stoma et notre français "estomac",
il y a le latin stoma qui signifie œsophage
ou estomac, ou même appétit...
Un mot de la Bible par
Patrice Rolin...
—En fait, en grec stoma signifie “bouche”. Avec stoma nous sommes donc bien toujours dans le système digestif, mais au tout début, là où les aliments entrent.
—Que ce soit dans la Bible hébraïque, où “bouche” traduit généralement le mot PèH, ou que ce soit dans la traduction grec des Septantes et dans le Nouveau Testament avec le mot stoma, ce mot bouche est très courant dans la Bible.
—Il peut aussi désigner la gueule d'un animal, ou même la béance de la terre qui s'ouvre pour engloutir ceux qui se sont révoltés contre Moïse et Aaron dans le livre des Nombres (16,30-34). On retrouve ce sens métaphorique dans les passages où le Shéol, le séjour des morts, est figuré comme un monstre insatiable ouvrant sa gueule pour engloutir les humains (Esaïe 5,14 ; Psaume 141,7 ; Proverbes 30,15).
—Ecoutons ce verset saisissant du prophète Esaïe dans une malédiction contre les puissants du royaume de Juda :
“… C'est pourquoi le Shéol, le séjour des morts,
ouvre tout grand son gosier,
il ouvre sa bouche sans limite ;
l'élite comme la multitude de la ville y descendent,
avec son vacarme et sa liesse.”
(illustration d'Apocalypse 20,10, enluminure médiévale)
——Voilà donc une bouche qui fait froid dans le dos !
—Mais quittons ces représentations mythologiques pour revenir à la bouche que nous connaissons bien, la bouche des humains, celle qui avale les aliments, celle qui profèrent des paroles.
1. La bouche et la parole
—C'est dans cette seconde fonction que la Bible, livre de paroles, mentionne le plus souvent la bouche, la bouche, mais aussi la langue et les lèvres pour évoquer la parole.
—Ainsi, en hébreu, en grec, comme en français et dans de nombreuses autres langues, "ouvrir la bouche" signifie parler. Et "mettre la main sur sa bouche", signifie se taire (Juges 18,19).
—Et en hébreu comme en grec, parler "de vive voix" avec quelqu'un, se dit même parler "bouche à bouche" : PèH ÈL PèH en hébreu (Nombres 12,8) ; stoma pros stoma en grec (2 Jean 12 ; 3 Jean 14 ).
—La bouche est à ce point liée à la parole que quand, dans le livre des Actes des apôtres, Paul témoigne devant les responsables juifs de Jérusalem c'est à sa bouche qu'ils finissent par s'en prendre !
—Lisons ce texte étonnant :
“... Fixant le sanhédrin, Paul dit :
«Mes frères, quant à moi,
c'est en toute bonne conscience que je me suis conduit,
devant Dieu, jusqu'à ce jour.»
Le grand prêtre Ananias donna à ceux qui étaient près de lui
l'ordre de le frapper sur la bouche.”
—–––––––––––––––––––––––––––––––––(Actes 23,1-2)
—La colère du grand prêtre se déchaîne ainsi contre la bouche qui a proféré les paroles qu'il condamne...
—Source, ou canal de la parole, la bouche en tant qu'organe va donc être constamment au cœur des ambigüités du langage des hommes dans la Bible.
—Ainsi, les livres de sagesse comme le livre de Job, les Proverbes ou le Siracide mentionnent-ils très souvent la bouche.
—Lisons quelques proverbes bibliques dans ce sens :
“ La bouche du juste est une fontaine de vie.” (Proverbes 10,11)
Mais “L'impie ruine son prochain par sa bouche.” (Proverbes 11,9)
et "La bouche du sot est sa propre ruine.” (Proverbes 18,7)
—Associée, presque identifiée à la parole, la bouche peut donc être "pleine de malédiction et d'amertume" comme l'écrit Paul aux Romains (3,14), ou au contraire pleine de louanges comme l'atteste plusieurs Psaumes (34 ; 51 63), comme par exemple le Psaume 8, cité par Jésus dans l'évangile e Matthieu (21,16) :
“Par la bouche des tout-petits
et des nourrissons tu t'es formé une louange !”
—Et dans l'épître qui lui est attribuée, Jacques écrira :
“De la même bouche sortent la bénédiction et la malédiction.
Il ne faut pas, mes frères, qu'il en soit ainsi.”
—––––––––––––––––––––––––––––––(Jacques 3,10)
—Pourquoi Jacques écrit-il "il ne faut pas qu'il en soit ainsi ?”
—C'est que la bouche, et donc les paroles qu'elle porte doivent témoigner d'une cohérence. Et nombreux sont les passages bibliques mettent en garde contre la bouche qui ne porte pas la parole du cœur—c'est-à-dire dans la représentation anthropologique de l'époque— les paroles qui ne correspondent pas à ce que l'on pense.
—La bouche se fait alors mensongère, et se remplit de tromperies (Esaïe 53,9 ; Psaume 109,2 ; Proverbes 10,11.14.31).
—Ainsi, Jésus déclare-t-il dans lévangile de Luc :
“L'homme bon, du bon trésor de son coeur, fait sortir du bon,
et le mauvais, de son mauvais trésor, fait sortir du mauvais ;
car c'est de l'abondance de son coeur que sa bouche parle.”
—–––––––––––––––––––––––––––––––––(Luc 6,45)
2. La bouche de Dieu
—Si les humains ont une bouche pour parler, alors le Dieu de la Bible qui est un Dieu qui parle, a donc lui aussi une bouche (1 Rois 8,15 ; ...), —selon une représentation anthropomorphique classique— et chez le prophète Esaïe, on rencontre à plusieurs reprises cette affirmation pour conclure un oracle :
“C'est la bouche de Dieu qui a parlé”
—––––––––––––––––––––(Esaïe 1,20 ; 34,16 ; 58,14 ; ...)
Jusque dans le dernier livre de la Bible, le livre de l'Apocalypse, la bouche de Dieu, ou la bouche du Christ glorifié, n'a de cesse de parler. Et cette parole est une parole qui a l'effet tranchant d'un rasoir.
Lisons l'une de ces évocations :
“Il avait dans sa main droite sept étoiles ;
de sa bouche sortait une épée acérée
à deux tranchants,
et son visage était comme le soleil
lorsqu'il brille dans toute sa puissance.”
—––––––– Apocalypse 1,16 & 2,16 (voir aussi 19,15 & 21)
—Il s'agit d'une parole sans détour ni circonvolution, une parole qui jette une lumière crue sur les réalités des hommes et du monde.
—Mais dans la Bible hébraïque comme dans le Nouveau Testament, cette métaphore anthropomorphique qui confère une bouche à Dieu laisse souvent la place à une vision plus réaliste.On trouve par exemple à de nombreuses reprises sous la plume de l'évangéliste Luc, et concernant Dieu, l'expression suivante :
–comme Dieu en a parlé par la bouche de ses saints prophètes d'autrefois –
—––––––––––––––––– (Luc 1,70 ; voir aussi Actes 3,18.21)
—Ainsi, si Dieu parle dans la Bible, c'est finalement toujours par la bouche bien réelle d'un humain en qui il place sa parole. C'est ainsi que tout croyant peut recevoir l'exhortation suivante :"Dieu se taira toujours ,si tu ne lui prêtes pas ta bouche".
—Si, dans la Bible comme ailleurs, la bouche est étroitement associées à la parole, elle l'est aussi bien sûr à la nourriture.
3. La bouche comme passage
——entre l'intérieur et l'extérieur du corps
—Plusieurs passages bibliques jouent d'ailleurs sur cette double fonction de la bouche, manger et parler, ... Il y a bien sûr la fameuse parole de Jésus répondant au diable qui essaie de le tenter en lui suggérant pour rompre son jeûne de manifester sa puissance en transformant des pierres en pain :
—Selon l'évangile de Matthieu (4,4), citant le livre du Deutéronome (8,3),
Jésus répondit alors au diable :
«Il est écrit :
L'être humain ne vivra pas de pain seulement,
mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu.»
—Plus loin, dans ce même évangile de Matthieu (15,10-20), Jésus prend la défense de ses disciples. Ceux-ci sont mis en cause par des pharisiens concernant leur laxisme quant aux règles de pureté liées au repas.
—Les pharisiens sont en effet, dans les évangiles, presque systématiquement présentés comme étant obnubilés par la pureté rituelle. Voici donc ce que répond Jésus à leur adresse devant la foule :
«Ce n'est pas ce qui entre dans la bouche
qui souille l'être humain ;
c'est ce qui sort de la bouche qui souille l'être humain. ...»
—–––––––––––––––––––––––––––––––––(Matthieu 15,11)
—Mais les disciples, Pierre en tête, toujours lents à comprendre, lui demandent d'expliquer cette parole que Pierre qualifie d'énigmatique.
Jésus reprend alors :
«...Ne comprenez-vous pas
que tout ce qui entre dans la bouche va dans le ventre,
avant d'être évacué aux latrines ?
En revanche, ce qui sort de la bouche provient du coeur,
et c'est cela qui souille l'être humain.»
—–––––––––––––––––––––––––––––––––(Matthieu 15,17-18)
—Même après cette explication imagée, ce même Pierre, dans le livre des Actes des apôtres, ne semble toujours pas avoir compris cette parole de Jésus, puisque dans la vision qu'il reçoit à Joppé, Pierre refuse de manger les animaux qui lui sont proposés arguant que ceux-ci sont impurs (Actes 10,14).
Ecoutons comment Pierre rapporte l'épisode, après qu'il en ait enfin compris le sens :
«... J'ai répondu —dit Pierre– :
“En aucun cas, Seigneur !
Jamais rien de souillé ou d'impur n'est entré dans ma bouche !
Pour la deuxième fois, depuis le ciel la voix a repris :
Ce que Dieu a purifié, toi, ne le souille pas !»
—–––––––––––––––––––––––––––––––––(Actes 11,8-9)
—La voix céleste entendue par Pierre vient donc confirmer la parole qu'il avait déjà entendu de la bouche de Jésus lui-même.
—Dans tous ces exemples, on voit bien que comme voie de passage entre l'extérieur et l'intérieur, comme entre l'intérieur et l'extérieur du corps, la bouche est un lieu de passage stratégique qu'il s'agit de contrôler. Contrôler ses paroles, et ne pas manger n'importe quoi bien sûr, mais aussi parler quand il le faut, entrer en communication et goûter les bonnes choses que nous offre la création.
4. La bouche sensuelle
—Pour être complet et terminer sur une note plus légère cet inventaire des connotations du mot bouche dans la Bible, il nous faut mentionner la bouche comme objet de sensualité. Comme on peut s'y attendre, cette connotation se retrouve dans le Cantique des cantiques :
«Qu'il m'embrasse des baisers de sa bouche !
Car tes caresses sont meilleures que du vin... »
(Cantique des cantiques 1,2 ; voir aussi Job 31,27 et Proverbes 24,26)
Patrice ROLIN
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L'article qui précède est le texte de l'émission
“Un mot de la Bible” sur Fréquence Protestante 100.7 FM
du samedi 28 mai 2011.
(Le Cantique des cantiques, Marc CHAGALL)