Melos est un mot grec de la Bible qui signifie “membre”, un de nos quatre membres ou plus largement une partie du corps. Parle-t-on grec sans le savoir avec le mot melos ? Pas tellement, sauf que...
Un mot de la Bible
par Odile Roman-Lombard...
... sauf que le second sens de ce mot grec est membre d'une phrase musicale et par là chant, rythme, mélodie chantée et que ce sens là a donné un certain nombre de mots en français : mélodie, mélopée, mélodrame, mélo...
Concret
Pourtant, les auteurs du Nouveau Testament ne nous entraînent pas du côté de la musique mais du côté du langage du corps au sens anatomique du mot. Certes, le mot melos ne se limite pas à nos quatre membres : l'oeil ou la langue sont aussi bien qualifiés de membre par les auteurs du Nouveau Testament que nos bras et jambes. Ce qui semble ressortir c'est que les membres évoquent les parties concrètes du corps. Ce n'est pas évident en français puisque quand on entend le mot membre, résonne aussitôt son second sens, “personne faisant partie d'un ensemble, d'une communauté”. Mais ce double sens joue pas en grec : il faut donc tenter de garder l'irruption concrète du mot membre dans le texte.
Partie
Qui dit membre dit partie, une partie qui, selon l'évangile de Matthieu, peut être séparée, amputée du corps, pour sauver l'ensemble du corps :
«Si ton oeil droit entraîne ta chute,
arrache-le et jette-le loin de toi :
car il est préférable pour toi
que périsse un seul de tes membres
et que ton corps tout entier
ne soit pas jeté dans la géhenne.
Et si ta main droite entraîne ta chute,
coupe-la et jette-la loin de toi :
car il est préférable pour toi
que périsse un seul de tes membres
et que ton corps tout entier
ne s'en aille pas dans la géhenne.»
——————————(Matthieu 5,29-30)
Ici, le membre est la partie qui n'est pas vitale et dont le sacrifice peut être utile à l'ensemble.
Union
A l'inverse, si le membre est bien seulement une partie, ce n'est pas pour autant ce qui l'empêche d'étendre son influence à l'ensemble. Selon l'épître de Jacques, une partie même petite peut avoir de l'emprise sur tout le corps.
”De même, la langue est un petit membre
et se vante de grands effets.
Voyez comme il faut peu de feu
pour faire flamber une vaste forêt !
La langue aussi est un feu… ”
——————————(Jacques 3,5-6)
Et si une partie a un tel impact sur l'ensemble, il importe d'accorder de l'importance à chacune d'entre elles et de ne pas imaginer qu'on peut faire n'importe quoi avec elles, sans que le reste de la personne soit concernée. Dans 1 Corinthiens 6,15 où le lien étroit qui unit le Christ et les croyants est exprimé par les mots membres du Christ, melè Christou, Paul souligne que l'appartenance au Christ est exclusive de toute autre.
“Ne savez-vous pas que vos corps sont les membres du Christ ?
Prendrai-je les membres du Christ
pour en faire des membres de prostituée?
Certes non !”
——————————(1 Corinthiens 6,15)
Les croyants sont des parties du Christ lui-même aussi réellement qu'au verset 15 par l'union avec la prostituée, un homme devient avec elle un seul corps. Ici, ce n'est pas “vous êtes les membres du Christ” mais “vos membres sont le corps du Christ”. C'est un aspect physique de la vie du corps qui est en discussion et il importe de rappeler à tous que, dans ce domaine aussi, l'union des croyants avec le Seigneur doit être réelle et manifester son caractère exclusif.
Complémentarité et diversité : corps du Christ
Partie à la fois distincte et pourtant en union, ce sont ces deux propriétés des membres que Paul va exploiter au chapitre 12 de la première épître aux Corinthiens. Dans les versets 12 à 26, les membres sont convoqués dans une sorte de fable pour souligner la diversité et la complémentarité des différentes parties du corps.
“En effet, prenons une comparaison :
le corps est un, et pourtant il a plusieurs membres ;
mais tous les membres du corps, malgré leur nombre,
ne forment qu'un seul corps :
il en est de même du Christ.… / …
… Si l'ensemble était un seul membre, où serait le corps ?
Il y a donc plusieurs membres, mais un seul corps.
L'oeil ne peut pas dire à la main :
«Je n'ai pas besoin de toi»,
ni la tête dire aux pieds :
«Je n'ai pas besoin de vous.» … / …
.Or vous êtes le corps de Christ et vous êtes ses membres,
chacun pour sa part.”
——————————(1 Corinthiens 12,12.19-21.27)
La comparaison est connue. On la trouve déjà en Egypte au 12ème siècle avant notre ère. Les stoïciens l'utilisaient pour exhorter chacun à remplir ses devoirs dans la cité. Tite-Live raconte comment un tribun ramène au calme la plèbe en colère contre l'aristocratie par la fable des membres et de l'estomac. Cette image était donc couramment utilisée pour souligner que les parties doivent agir pour le bien du tout.
Mais l'image de Paul ne va-t-elle pas plus loin ? S'agit-il seulement de rappeler la diversité et la complémentarité de chacun dans l'Eglise ?
——Reprenons le verset 12 :
“En effet, prenons une comparaison :
le corps est un, et pourtant il a plusieurs membres ;
mais tous les membres du corps, malgré leur nombre,
ne forment qu'un seul corps :
il en est de même …. du Christ.”
Du Christ, n'attendions-nous pas naturellement un autre mot, de l'Eglise par exemple. Ce serait même tout à fait logique de mettre l'Eglise. Mais Paul a choisi le mot Christ : nous ne sommes pas simplement comme un corps, il ne s'agit pas simplement de dire la complémentarité et la diversité des membres de l'église. Il s'agit de dire leur solidarité une et irréfutable car “les membres sont le corps du Christ.” Les membres sont corps, un corps qui tient du Christ son existence, sa vie et son unité par le baptême en un seul esprit.
Verset 15 :
——“Si le pied disait :
——«Comme je ne suis pas une main,
——je ne fais pas partie du corps»,
——cesserait-il pour autant d'appartenir au corps ?»”
——Non, les membres ne peuvent choisir de se mettre à part. Et même s'ils le font, cesseront-ils pour autant d'appartenir à ce corps. La comparaison nous entraine dans une appartenance à l'essentiel : être ensemble le corps du Christ, en être les membres, c'est ne pas pouvoir dire « je n'ai pas besoin de toi », de la même façon que...
Verset 21 :
——“L'oeil ne peut pas dire à la main :
——«Je n'ai pas besoin de toi»,
——ni la tête dire aux pieds :
——«Je n'ai pas besoin de vous.»”
Et la formulation négative souligne le caractère indissociable de cette solidarité en Christ. Le mot membre dit ici une solidarité de fait ou de vie qui ne peut être remise en cause, une solidarité qui se dit à travers un lien de chair et de sang comme les membres sont rattachés à notre corps, une solidarité qui n'est pas un choix mais une réalité avec laquelle vivre, comme nous vivons avec le corps qui nous est donné :
Verset 26 :
——“Si un membre souffre,
——tous les membres partagent sa souffrance ;
——si un membre est glorifié,
——tous les membres partagent sa joie.”
Ainsi le membre, melos, dans sa dimension concrète invite le lecteur à appréhender la solidarité dans une mélodie à écrire en Eglise autour du Christ.
La solidarité entre tous par le Christ devient si forte qu'elle se tisse dans l'expression curieuse : “nous sommes membres les uns des autres.” qui apparaît dans l'épître aux Romains et dans l'épître aux Ephésiens :
Romains 12,5 :
——“ ...ainsi, à plusieurs, nous sommes un seul corps en Christ,
——étant tous membres les uns des autres, chacun pour sa part.”
Ephésiens 4,25 :
——“Vous voilà donc débarrassés du mensonge :
——que chacun dise la vérité à son prochain,
——car nous sommes membres les uns des autres.”
Membres les uns des autres, comme si nous devenions les mains, les jambes, les lèvres de nos frères et soeurs en Christ. On entend quelque chose de la mélodie de l'entraide.
Ici et maintenant
Partie, union, complémentarité et diversité, solidarité, les membres disent aussi quelque chose de notre condition humaine. C'est ainsi que le mot melos apparaît aux chapitres 6 et 7 de l'épître aux Romains en écho avec l'expression “corps mortel” ou “chair”. Dans les premiers chapitres de l'épître aux Romains, Paul a montré comment l'homme n'est plus dans un rapport à Dieu marqué par la colère mais dans une relation à Dieu qui se vit dans la paix de la justification. Après avoir donc réfléchi à la position théologique de l'homme devant Dieu, Paul s'intéresse aux implications de cette affirmation sur l'existence croyante. Comment vivre ici et maintenant le fait que notre existence est justifiée par la foi par Dieu ? Les chapitres 6 à 8 de l'épître aux Romains vont articuler péché, loi et grâce en différentes questions :
Les membres sont convoqués par Paul pour évoquer l'action de l'homme dans le monde. Ils sont moyen d'action : ils peuvent ainsi au chapitre 6, verset 13, suivant l'usage auquel on les affecte, devenir armes de l'injustice ou armes de la justice ou, en Romains 6,19, être comme des esclaves dont il faut choisir au service de qui on les met. L'emploi de mot melos membre permet à Paul de jouer sur le pluriel et la mobilité associés aux membres pour les faire résonner avec esclaves ou armes. Les membres sont-ils alors parties indissociables du corps comme ils l'étaient en 1 Corinthiens 12 ou sont-ils surtout ce qui peut être mû, en contradiction parfois avec notre volonté intime. C'est ainsi que Paul met en évidence l'écart qui peut se creuser entre nos aspirations intimes et nos actions, entre nos choix spirituels et ce qui en est manifesté :
Romains 7,22-23 :
——“Car je prends plaisir à la loi de Dieu,
——en tant qu'homme intérieur,
——mais, dans mes membres, je découvre une autre loi
——qui combat contre la loi que ratifie mon intelligence ;
——elle fait de moi le prisonnier de la loi du péché ;
——qui est dans mes membres.”
Il ne s'agit pas de lier les membres avec le péché ou d'associer ce qui est corporel avec le péché mais de rappeler comment parfois les actes du quotidien manifestent ce qui a de l'emprise sur nous. Les membres permettent alors de mettre en image cette ambiguïté essentielle qui nous habite. Ils sont articulation entre l'ici et maintenant de notre être au monde et notre condition d'homme justifié devant Dieu, ou peut-être pour le dire plus simplement articulation entre les contraintes de la vie quotidienne et notre être spirituel devant Dieu.
De ce parcours à travers le Nouveau Testament en suivant le mot melos / membre, des parties d'un tout qui dans leur diversité et leur complémentarité deviennent solidaires en Christ, nous voici dans une image de la condition de l'homme qui, dans ses membres tente de vivre au quotidien la relation avec le Christ. Les membres nous y rappellent alors notre fragilité et notre responsabilité.
Odile ROMAN-LOMBARD
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L'article qui précède est le texte de l'émission
“Un mot de la Bible” sur Fréquence Protestante 100.7 FM
du samedi 25 juin 2011.
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