
——Dans la Bible, les noms de Dieu sont nombreux, témoins de différentes traditions culturelles, religieuses et théologiques. L'une de ces nominations a suscité et suscite encore le débat : comment traduire YHWH, quatre lettres, le tétragramme divin qui apparaît 6809 fois dans la Bible hébraïque ? Faut-il d'ailleurs traduire un nom propre ?
——Dans le judaïsme rabbinique, par révérence, ce “Nom Ineffable” ne doit pas être prononcé. Aussi, lors de la lecture de la Torah, y substitue-t-on le mot Adonaï signifiant “Mon Seigneur”, “Mon Maître”. De leur côté, les Bibles en français offrent différentes transcriptions ou traductions que l'on peut répartir en trois catégories, et qui sont révélatrices de différentes images de Dieu.
Transcrire
——Un premier groupe de traductions, plutôt modernes, refuse de traduire le tétragramme divin ou y renonce préférant le transcrire. Ainsi Edouard Dhorme (Bible de la Pléïade) proposait-il Iahvé, et la Nouvelle Bible de Jérusalem a Yahvé. Mais il semble que, si l'on tient à vocaliser, Yahou soit plus proche de la prononciation ancienne. La plupart des traducteurs de la Bible Bayard optent pour Yhwh, et André Chouraqui, pour sa part, innove en superposant IHVH et adonaï !
Traduire
——Un deuxième groupe rend le tétragramme par l'Eternel. Une traduction introduite par Olivétan, cousin de Calvin, en 1535-37 et qui prospéra dans le protestantisme français. Pour Olivétan, cette traduction s'inspire peut-être de la formule de l'Apocalypse par laquelle Dieu se présente comme : “Celui qui est, qui était et qui vient” (Apocalypse 1,8).
——On retrouve aussi cette traduction, l'Eternel, dans la Bible du Rabbinat Français. Pour le judaïsme, elle est liée à une compréhension particulière de la réponse divine à Moïse au buisson ardent, quand celui-ci tente d'obtenir du Dieu qui l'envoie la révélation de son nom (pour lire ce récit cliquez ici). A la question de Moïse, Dieu répond littéralement : «Je serai / je suis qui je serai / je suis» (Exode 3,14). Toutes les combinaisons entre le futur et le présent du verbe “être” étant ici grammaticalement permises par l'hébreu. Pour comprendre cette réponse pour le moins sibylline, on a parfois fait dépendre le tétragramme divin, YHWH, du verbe être, en hébreu HYH ou HWH. Ainsi, déjà, la Bible grecque des Septante(1) traduisait la réponse de Dieu à Moïse par : «Je suis l'Etant». Naturellement marquée par la culture grecque, cette traduction lit dans la réponse de Dieu l'affirmation qu'il est l'Être absolu, la source de l'être, celui qui surplombe le temps.
——La traduction du Rabbinat français renforce encore cette orientation en traduisant Exode 3,14 par «Je suis l'Être invariable !». Mais cette représentation d'une divinité invariante va bien au-delà de ce qui est signifié par “l'Eternel”, et ne correspond pas à l'image dynamique du Dieu de la Bible, lequel est capable de changement, voire même de repentance !
Transposer
——Un troisième groupe enfin traduit le tétragramme par “le Seigneur”. Cette traduction, qui rend le Adonaï de la lecture juive de la Torah, a pour elle l'ancienneté puisqu'elle reprend le Kurios grec de la traduction des Septante. En français, “le Seigneur”, apparaît déjà en 1530 dans la Bible de Lefèvre d'Etaples (et probablement bien avant). Jusqu'au 20ème siècle, cette traduction prospérera dans les traductions d'origine catholique, qui y retrouvent aussi le Dominus latin de la Vulgate. Elle met l'accent sur Dieu comme “Maître de l'Histoire” et a une portée potentiellement polémique vis-à-vis des pouvoirs politiques du monde.
——Adoptée par la plupart des versions œcuméniques ou protestantes contemporaines, parfois après d'âpres débats, et malgré sa connotation un peu médiévale, cette traduction “le Seigneur” semble bien s'imposer aujourd'hui contre un Eternel qui constitue une “exception française” d'origine protestante.
——Que conclure de ce rapide parcours ? Sans doute qu'il est impossible de mettre la main sur Dieu en l'enfermant dans un nom unique et univoque.
Patrice ROLIN
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Note :
(1) A partir du 3ème siècle av. JC l'expansion de la langue grecque rendit nécessaire la traduction de la Bible Hébraïque en grec pour des juifs de la diaspora qui pratiquaient plus facilement le grec que l'hébreu. C'est cette traduction que l'on nomme aussi la Bible Grecque ou encore la Septante. Pour des informations plus détaillées sur cette traduction, on lira avec intérêt l'article suivant : La Septante, quelle autorité ?
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