
Un mot de la Bible——
par Jean-Pierre Sternberger ...
——Des deux verbes grecs, siôpaô a certainement un sens plus large puisque, dans la Bible grecque des Septante, on peut le traduire dans le premier livre des Rois (22,3) par “s'abstenir” alors que dans le livre du Cantiques des Cantiques, le mot siopesîs qui dépend de ce verbe désigne le voile de l'héroïne, un voile qui cacha sa beauté comme le silence couvre les bruits et les voix. En dehors de ces versets tous les emplois de ces verbes concernent le fait de se taire.
Le silence, écrin de la parole
——Il y a, écrit l'Ecclésiaste, un temps pour se taire et un temps pour parler, en grec : kairos tou sigan kai kairos tou lalein.
——Il s'agit donc de parler à bon escient et au bon moment. L'apôtre Paul soucieux du respect d'autrui ajouterait volontiers que les croyants qui s'expriment en langue inconnue et incompréhensible feraient souvent mieux de se taire (1 Corinthiens 14,28-30) à moins que quelqu'un ne donne l'interprétation de leurs discours. Un peu plus loin dans la même lettre, il ordonne, sans que cela ait la moindre portée théologique, que les femmes elles aussi se taisent dans les assemblées (1 Corinthiens 14,34 ; sur ce passage et son attribution à Paul, lire l'article Paul, misogyne ?). Il faut voir dans ces recommandations le simple souci de l'ordre dans le culte et non l'opinion un peu misogyne exprimée par le Siracide derrière une faux air de reconnaissance : “une femme qui se tait est un don du Seigneur” (Siracide 26,14).
——De fait souvent, il est bon que le silence précède la parole. Dans un récit, la mention du silence signale l'attention d'auditeurs impatients de savoir comment Pierre a pu sortir de sa prison (Actes 12,17) ou stupéfaits des miracles qui ont accompagné l'évangélisation des Païens (Actes 15,12-13) ou encore curieux de savoir comment Paul va pouvoir répondre aux graves accusations portées contre lui (Actes 21,40).
——Ailleurs, le silence trahit l'embarras de ceux qui ne savent ou ne veulent pas répondre. Ainsi se taisent les croyants à qui Jésus demande s'il est permis de faire le bien un jour de sabbat (Marc 3,4 ; voir aussi Luc 20,26), ou encore les disciples interrogés au sujet de préoccupations bien futiles (Marc 9,34).
——Mais le silence a aussi quelque chose de solennel. Moïse l'exige du peuple au moment où celui-ci vient de faire alliance avec Dieu (Deutéronome 27,9). L'ordre qu'il donne alors : “Tais-toi et écoute Israël” fait alors écho au grand commandement du début du livre : “Ecoute Israël” (Deutéronome 6,3).
——De même, quand il comprend que son maître Elie est sur le point d'être enlevé au ciel, Elisée demande à ses compagnons de garder le silence (2 Rois 2,3-5). Ils se taisent comme se tairont les disciples de Jésus qui, à la Transfiguration ont vu Elie et Moïse s'entretenir avec leur maître (Luc 9,36).
Le silence de Jésus
——Mais quand, interrogé par le grand prêtre (Marc 14,61 repris en Matthieu 26,63), Jésus lui aussi garde le silence, comment interpréter cette attitude de la part d'un homme connu pour être un prophète ? Les prophètes ne sont-ils pas des spécialistes du discours. “Je ne me tairai pas” proclame Jérémie (4,19) et si Esaïe concède : “je me suis tu”, il poursuit : “je ne me taira pas toujours mais je crierai comme une femme qui accouche” (Esaïe 42,14). Comment alors interpréter comprendre le silence de Jésus interrogé par le grand prêtre ? Une première lecture consisterait à voir dans l'attitude de Jésus, celle d'un sage : “Le sage se tait jusqu'au moment opportun” (Siracide 20,7). Reste à savoir en quoi il n'aurait pas été sage de répondre au grand prêtre.
——Une deuxième lecture attribuerait le silence de Jésus à sa souffrance qui l'empêche de parler selon ce disent les psalmistes : “tant que je me suis tu mes os se consumaient” (Psaumes 31/32,3) ou “je suis resté muet mais mon coeur brûlait au dedans de moi” (Psaumes 38/39,3). Cette attitude est celle de Job qui demande à Dieu : “Pourquoi comme des quadrupèdes, nous sommes nous tus devant toi ?” (Job 18,3) avant de déclarer : “si je parle, mes souffrance ne seront pas atténuées, si je me tais, en quoi seront elles moindres” (Job 16,6). Mais plutôt que le silence ce sont les cris qui, dans la Bible, sont l'expression de la grande douleur. A Sion- Jérusalem dévastée, l'auteur des Lamentations conseille : “Ne mets pas fin à ton ivresse, que ton coeur, demoiselle, ne se taise pas” (Lamentations 2,18) avant de s'écrier “mon oeil est fatigué et je ne me tairai pas pour mettre fin à mon ivresse” (Lamentations 3,49).
——Ce cri n'est pas seulement l'expression de la souffrance, il est aussi celle de l'espérance et en tous cas de la non désespérance : “ [l'être humain] se tiendra assis dans le solitude et se taira [...] il tendra sa joue à celui qui le frappe il sera gavé d'outrages parce que ce n'est pas pour toujours que le Seigneur rejette, et que celui qui a humilié aura aussi compassion selon l'abondance de la pitié” (Lamentations 3,27-32) Alors, malgré ceux qui voudraient le faire taire, l'aveugle Bartimée ne cesse d'appeler jusqu'à ce que Jésus entende son cri (Luc 18,39). S'il fallait établir un rapprochement entre le récit de la passion du Christ et les prières des souffrants de la Bible, c'est certainement sur le mode du cri et non du silence que ce rapprochement pourrait se faire.
Le silence de Dieu
——Reste une troisième lecture du silence de Jésus comme une allusion au silence de Dieu. Car le silence de Dieu comme celui de Jésus est une énigme : “Dieu, qui est semblable à toi ? Ne reste pas silencieux. ne prends pas de repos ... car tes ennemis s'agitent ..." (Psaumes 82/83,2-3). Le silence de Dieu, n'est il pas pour le méchant comme un encouragement à faire le mal ( (Psaumes 49/50,21) ? Mais pour le livre de la sagesse, le silence est trompeur quand il précède de peu, comme à Pâque, la terrible intervention divine :
“ [les Égyptiens] qui étaient restés complètement incrédules en pensant à des maléfices [à propos des plaies infligées par Moïse] reconnurent, devant la perte de leurs premiers-nés, que ce peuple était fils de Dieu. Un silence paisible enveloppait tous les êtres et la nuit était au mitemps de sa course quand ta Parole toute-puissante, quittant les cieux et le trône royal, bondit comme un guerrier impitoyable au milieu du pays maudit avec, pour épée tranchante, ton décret irrévocable. Se redressant, elle sema partout la mort ; elle touchait au ciel et foulait la terre.” ——————(Sagesse 18,13-16)
——Et quand les esclaves fuyant l'Égypte sont terrorisés par l'approche des armées du Pharaon, Moïse demande de faire silence car “le Seigneur combattra pour vous” (Exode 14,14) et sa violence saura mettre fin à la violence des hommes. Puis quand il sera passé et que sera dévasté le pays qui n'a pas su entendre son appel, il ne restera au survivant que ces mots : “Tais-toi, garde-toi de prononcer le nom du Seigneur ” (Amos 6,10).
——Dieu se tait encore mais quand il agira alors la tempête elle-même fera silence (Psaumes 106/107,29). Jésus se tait devant le grand prêtre mais s'il ordonne à la mer, alors la mer se tait (Marc 4,39 ; voir aussi Marc 1,25).
——Selon la vision de l'apocalypse de Jean, à l'ouverture du septième sceau du livre que tient le Seigneur, se produit dans le ciel “un silence d'environ une demi-heure” (Apocalypse 8,1). Jésus se tait devant le grand prêtre. Bientôt Dieu lui-même reprendra la Parole.
Jean-Pierre STERNBERGER
L'article qui précède est le texte de l'émission
“Un mot de la Bible” sur Fréquence Protestante 100.7 FM
du samedi 12 décembre 2009.