Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

STAUROS, la croix

Chagall(Croix).jpg

——————————(La crucifixion blanche, Marc CHAGALL)

——Bien sûr, le mot croix peut désigner un signe formé par deux traits qui se croisent. Ce symbole est extrêmement courant. Il est présent sous d'innombrables formes, et avec différentes significations, dans de nombreuses cultures, et ceci, depuis les temps les plus anciens et jusque dans nos panneaux de signalisation routière, comme aussi dans le signe mathématiques "plus".
——Mais ce n'est pas de ce signe graphique dont il est question ici.
Non, cette note évoque la croix, instrument de supplice...

Un mot de la Bible——
par Patrice Rolin ...

———La croix, stauros en grec.
—————Un mot qui signifie d'abord "poteau" ou "pieu".
———————Un mot qui a donné le verbe stauroô, pour "crucifier".

Même si l'on n'a aucune culture chrétienne, l'image d'une croix, évoque la mort ou en tout cas une épreuve. Ainsi, recevoir une enveloppe avec une croix dessus n'est pas de bonne augure...
——Et dans le langage commun, on parle même de "porter sa croix" pour évoquer une épreuve de la vie.
——Ainsi, chacun aurait sa part de difficultés ou d'épreuves dans sa vie.
Comme s'il y avait une sorte de destin, de nécessité à souffrir !
Comme si, surtout, cela devait nous rendre l'épreuve plus acceptable !
——Mais force est de constater que les "parts de souffrance" ne semblent pas toujours bien, ni justement réparties.
——De toute façon celle que nous sommes censés porter est toujours trop lourde !
——Quoi qu'il en soit, cette expression populaire, "porter sa croix", est en fait un détournement du sens d'une image évangélique.

En effet, à plusieurs reprises dans les évangiles, Jésus déclare à ses disciples que s'ils veulent le suivre, ils devront se charger de leur propre croix.
——Lisons dans l'évangile de Marc, au chapitre 8 ...

…Puis Jésus appela la foule avec ses disciples et leur dit :
«Si quelqu'un veut me suivre, qu'il renonce à lui-même,
qu'il se charge de sa croix et qu'il me suive.
Car quiconque voudra sauver sa vie la perdra,
mais quiconque perdra sa vie à cause de moi
et de la bonne nouvelle la sauvera.»…

————————————————————(Marc 8,34-35)

——Ici, la Croix est à l'évidence une métaphore de la souffrance que le disciple doit être près à endurer à cause du témoignage de l'Evangile (Marc 8,34 // Matthieu 10,38 ; 16,24 & Luc 9,23 ; 14,27). Il s'agit de porter sa croix à l'image de Jésus qui a dû aller jusqu'à affronter la mort au nom de l'espérance dont il était porteur.
——Dans les évangiles, “porter sa croix”, c'est donc accepter le risque, et éventuellement subir les conséquences, d'un engagement de foi ; c'est assumer les conséquences de ses convictions.
——On le comprend bien, cela n'a rien à voir avec n'importe quelle souffrance, maladie, chômage, divorce ou deuil !

——Mais avant d'être une image des conséquences d'un engagement militant, la croix, stauros, est d'abord, au premier degré, dans l'Antiquité, un instrument de supplice et d'exécution. ...

1. La croix, instrument de supplice et d'exécution

——Dans ce sens, la croix est absente de la Bible hébraïque qui connait cependant un instrument de torture du même type (Genèse 40,19 ; 41,13 ; Nombres 25,4 ; Deutéronome 21,22 ; Josué 8,29 ; 10,26 ; Esther 5,14 ; 8,7 ; 9,25). Il est souvent désigné par le mot ”êTs, un mot hébreu signifiant "arbre", ou "bois", ou encore "poteau".
——De fait, il s'agit plus d'un pieux, où le condamné est empalé ou pendu. Le plus souvent d'ailleurs, il s'agit plutôt de l'exposition du cadavre du condamné qui a déjà été exécuté d'une autre façon. Sa dépouille est alors offerte à la vue de tous pour l'humilier jusque dans la mort.

Dans la Bible des Septante(1), seul le verbe “crucifier" apparaît deux fois, mais c'est dans la version grecque du livre d'Esther (Esther gc 11,9[=5,14hb] ; 13,18[=8,7 & 9,25hb]), un livre deutérocanonique tardif.
——Dans ce livre d'Esther grec, la crucifixion est le sort promis à Hamman et aux siens par le roi Perse Artaxersès, pour avoir ourdit un complot contre les juifs ; mais dans ce récit, il n'est pas absolument clair qu'il s'agisse d'une croix, d'un pal ou d'un gibet, voire d'une potence.

——Mais qu'en est-il de la crucifixion proprement dite ?
——C'est-à-dire du supplice qui consiste à faire mourir un condamné en le laissant attaché ou cloué sur une croix fichée dans le sol ?
——Cette crucifixion-là n'est pas seulement un mode romain d'exécution comme on le dit souvent. Certains historiens pensent que ce supplice aurait été inventé par les Perses, mais le supplice de la croix est semble-t-il aussi attesté chez plusieurs autres peuples de l'Antiquité.
——- En tous les cas, les Grecs l'ont utilisés. Ainsi, au 2ème siècle av. JC par exemple, Antiochus IV Epiphane fit crucifier de nombreux juifs.
——- Même les juifs l'utilisèrent aussi :
——Ainsi, au 1er siècle av. JC en effet, le roi juif hasmonéen Alexandre Jannée fit crucifier 800 de ses coreligionnaires pharisiens qui s'opposaient à lui.
——- Enfin, les Romains ont repris ce mode d'exécution.
——Les Rmoains réservaient cette peine aux criminels, aux insurgés, aux esclaves et aux non-romains. En effet, ce supplice, réputée barbare, ne pouvait être infligée à un citoyen romain (sauf exceptionnellement). Autrement dit, cette mort infâmante n'était pas digne d'un citoyen libre et civilisé. Car c'était pour les Romains la peine la plus cruelle et la plus honteuse. Un supplice qui exposait le condamné à une agonie publique, une agonie qui pouvait durer des heures, voire plusieurs jours !

Comme le mot grec pour "croix", stauros, peut aussi signifier "un pieu", on a beaucoup discuté la forme de la croix sur laquelle fut crucifié Jésus :
——- un simple poteau vertical ;
——- une croix en forme de "T" majuscule ;
——- ou une croix comme celles qui parsèment les cimetières chrétiens.

De même la question de savoir si les crucifiés étaient simplement attachés à la croix, ou s'ils y étaient cloués, a elle aussi été discutée. Il semble en effet que plusieurs pratiques différentes aient eu cours dans l'Antiquité.
——Faute de pouvoir trancher historiquement, tenons-nous en aux témoignages des évangiles qui semblent indiquer que Jésus a probablement été attaché à la poutre horizontale qu'il a d'abord portée.

Passion Bosch.jpg

——————————(Le portement de croix [détail], Jérôme BOSCH)


——Et il n'est pas invraisemblable qu'il y ait ensuite été cloué, mais dans les poignets, et non dans la paume, comme l'iconographie classique le suggère à tort.

Quoiqu'il en soit, le condamné, attaché ou cloué, est ensuite hissé avec la poutre horizontale, laquelle est alors fixée en haut du poteau vertical.
——C'est ce genre de crucifixion qui est vraisemblablement évoqué par les quatre évangiles pour Jésus (Marc 15,21.30.32.46 // Matthieu 27 // Luc 23 // Jean 19 ; Philippiens 2,8 )(voir aussi Mt 23,34 pour les disciples).

——Voilà pour la croix dans sa première, et terrible, réalité.

——Mais au-delà de cette réalité barbare, un auteur du Nouveau Testament, a repris le mot "croix", stauros, pour en faire un concept théologique, une clef de compréhension. Il s'agit de l'apôtre Paul.

2. La Croix paulinienne
——(1 Corinthiens 1,17.18 ; 2,2 ; Galates 5,11 ; 6,12.14 ; Philippiens 3,18)

——Pour Paul, en effet, la Coix n'est pas d'abord le nom d'un instrument de supplice. Ce mot stauros désigne le cœur même, le fondement de sa théologie.
——Qu'est-ce que cela signifie ?

Dans sa première lettre aux Corinthiens, l'apôtre commence par traiter d'un problème concret particulier : des conflits de pouvoir et des divisions dans la jeune communauté chrétienne de Corinthe.
——Dans la première section de sa lettre (1,10—4,21), Paul affirme d'abord que ces conflits conduisent à de rien de moins que de "réduire à néant, à vider de son sens, la croix du Christ" (1Corinthiens 1,17).
——Mais quel sens a donc pour Paul "la croix du Christ“ ?

——L'apôtre livre alors l'une des formulations les plus condensées et les plus originales de sa théologie ; une théologie qu'il résume dans l'expression unique : “La parole de la croix" (1Corinthiens 1,18-25)

:

En effet –écrit Paul–, la parole de la croix est folie
——pour ceux qui vont à leur perte,
——mais pour nous qui sommes sur la voie du salut,
——elle est puissance de Dieu.
(19) Car il est écrit :
——Je détruirai la sagesse des sages,
——j'anéantirai l'intelligence des intelligents.
(20) Où est le sage ? Où est le scribe ?
——Où est le débatteur de ce monde ?
——Dieu n'a-t-il pas frappé de folie la sagesse du monde ?

(21) En effet, puisque le monde, par la sagesse,
——n'a pas connu Dieu dans la sagesse de Dieu,
——c'est par la folie de la proclamation
——qu'il a plu à Dieu de sauver ceux qui croient.

(22) Les Juifs, en effet, demandent des signes,
——————————————
(c-à-d des actes de puissance)
——et les Grecs cherchent la sagesse.
——————————————
(c-à-d un discours rationnel)
(23) Or nous, nous proclamons un Christ crucifié,
——cause de chute pour les Juifs et folie pour les non-Juifs;
(24) mais pour ceux qui sont appelés, Juifs et Grecs,
——un Christ qui est la puissance de Dieu et la sagesse de Dieu.

(25) Car la folie de Dieu est plus sage que les humains,
——et la faiblesse de Dieu est plus forte que les humains.
...”

——Pour l'apôtre, la Croix est donc un terme théologique qui désigne la façon paradoxale dont Dieu se révèle au travers du crucifié (voir 1Corinthiens 1,17.18 ; Galates 5,11 ; 6,12.14 ; Philippiens 2,8 ...).
——Et cette révélation paradoxale de Dieu prend à revers les fantasmes humains de toute-puissance ou d'omniscience (= tout savoir). En effet, dans le texte que nous venons de lire, Juifs et Grecs ne désignent pas uniquement des ethnies ou des cultures particulières, mais ces termes désignent des attitudes humaines fondamentales : d'un côté, une quête de puissance, et de l'autre une quête de savoir, qui amènent à rejeter le faible, celui qui n'est pas performant, pour parler en termes actuels.

——Cette révélation paradoxale de Dieu dans la faiblesse d'un crucifié provoque alors le scandale chez ceux qui rejettent une telle image comme folie et faiblesse.
——Mais cette révélation paradoxale ouvre à la confiance chez ceux qui la reçoivent comme une puissance de salut (1 Corinthiens 1,18-25) ; comme puissance salut, c'est-à-dire comme puissance de libération des logiques humaines de domination.

Ainsi, pour Paul l'expression la parole de la croix est donc synonyme d'Evangile.
——Et Paul de déclarer aux gens de Corinthe (2,2) :

… j'ai jugé bon, parmi vous,
de ne rien savoir d'autre que Jésus-Christ
– Jésus-Christ crucifié.

——On le comprend bien, pour Paul, stauros, la Croix, est bien plus qu'un instrument de torture composé de deux pièces de bois !

——Pour Paul, la croix est une parole de salut, une parole de libération.

3. La croix, symbole chrétien

——Terminons notre parcours en évoquant rapidement la croix comme symbole chrétien :
——Ce n'est pas avant le 4ème siècle ap. JC que la croix devient le symbole principal du christianisme. Cette croix fait l'objet d'innombrables représentations pieuses ou artistiques.

—— Quand le crucifié y est présent,
——le crucifix est la représentation d'un Dieu
——qui partage les souffrances de l'humanité jusque dans la mort
——(parfois dans la douleur extrême, ou parfois dans la sérénité).

—— Quand le crucifié est absent de la Croix,
——on peut alors y lire la promesse d'un dépassement de la mort :
——le Christ n'a pas été retenu par la mort ...

—— On trouve aussi de nombreuses représentations picturales anciennes
——qui font la synthèse entre ces deux compréhensions de la Croix :
——elles offrent alors à la méditation du spectateur,
——un Jésus crucifié sur une croix en forme d'arbre de vie ...

——Chacune de ces représentations, celles des évangélistes, celle de Paul, ou celles des artistes, nous dit à sa manière une parole sur la Croix.

——Chacune d'elles interprète la Croix pour permettre, peut-être, à la parole de la Croix de nous interpréter à son tour, nous et nos vies.

Patrice ROLIN


Notes :
(1) A partir du 3ème siècle av. J.C. l'expansion de la langue grecque rendit nécessaire la traduction de la Bible Hébraïque en grec pour des juifs de la diaspora qui pratiquaient plus facilement le grec que l'hébreu. C'est cette traduction que l'on nomme aussi la Bible Grecque ou encore la Septante.

Chemcrx.jpg
(dessin de Jean-Pierre Molina)
—•o0O0o•—

L'article qui précède est le texte de l'émission
“Un mot de la Bible” sur Fréquence Protestante 100.7 FM
du samedi 11 avril 2009.


—oOOOo—
En lien avec ce texte, lire la note
• La parole de la croix, par Patrice Rolin

Les commentaires sont fermés.