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TUPHLOS, TUPHLOÔ ...

Jean LEGRAND (guérison de l'aveugle-né).jpg

—————————————(L'aveugle-né, Jean Legrand)

——Tuphlos signifie “aveugle”, autant le dire tout de suite car il n’y a pas de lien entre le mot français et le mot grec qui n’a pas de descendance dans notre langue ...

Un mot de la Bible——
par Dominique Hernandez ...

Tuphlos est employé comme nom commun ou comme adjectif. La quasi-totalité de ses emplois dans le Nouveau Testament se trouve dans les évangiles. Chacun des quatre évangiles met en scène des récits de guérison d’aveugles par Jésus, mais également, on découvre dans les évangiles de Matthieu, Luc et Jean, des discours où tuphlos est employé comme une métaphore, une image. En effet, aveugle, tuphlos, désigne une personne privée de la vue mais aussi quelqu’un manquant de discernement, de compréhension. Il en est de même en français où l’expression “je ne vois pas” signifie, “je ne comprends pas”.
——Le double sens est couramment employé, il ne nécessite aucune explication, on voit très bien ce dont il s’agit !
——Le sens métaphorique de tuphlos est connu largement dans l’Antiquité dans le monde grec et aussi dans le judaïsme.

——L’image se prête parfaitement bien au domaine de la foi, quand il est question de par exemple de révélation, de dévoilement, l’aveugle, l’incrédule, ne voit pas ce qui est révélé et que d’autres voient bien. Toute une série d’autres métaphores autour de la vue et des possibilités de voir (ou pas) entrent avec tuphlos dans ce grand champ de la compréhension et de la foi, comme par exemple les images de la lumière et de l’obscurité, du jour et de la nuit.

Le passage de la cécité à la vue indique le mouvement spirituel d’une conversion ou alors, et c’est particulièrement le cas dans l’évangile selon Luc, l’entrée dans un temps nouveau.
——Au chapitre 4 de l’évangile de Luc, le ministère public de Jésus commence à la synagogue de Nazareth. Jésus y lit, au livre du prophète Esaïe, le passage suivant :

« L’Esprit du Seigneur est sur moi
parce qu’il m’a conféré l’onction
pour annoncer la Bonne Nouvelle aux pauvres.
Il m’a envoyé proclamer aux captifs la libération
et aux aveugles le retour à la vue,
renvoyer les opprimés en liberté,
proclamer une année d’accueil par le Seigneur
».

Le texte se poursuit ainsi :

Et il roula le livre, le rendit au servant et s’assit ;
tous dans la synagogue avaient les yeux fixés sur lui.
Alors il commença à leur dire :
«Aujourd’hui, cette Ecriture est accomplie pour vous qui l’entendez.
»”

——La lecture du chapitre 61 du livre d’Esaïe est associée au commencement de l’année du jubilée et au jour de Kippour (=“pardon”) dans le judaïsme.  Par la lecture de ce texte et la parole qui l’accompagne, Jésus indique clairement le commencement d’un temps nouveau, le temps où le Royaume de Dieu se fait proche. Le retour à la vue des aveugles, comme les autres missions conférées à celui qui a reçu l’onction, signe un changement, une nouveauté radicale, inimaginable, irréalisable à mesure humaine. Le retour à la vue des aveugles devient le signe de la présence de l’Evangile, la Bonne Nouvelle, en Jésus.

Un peu plus tard, un peu plus loin dans l’évangile de Luc, au chapitre 7, c’est encore avec, parmi d’autres, le motif du retour à la vue des aveugles, que Jésus répond aux envoyés de Jean le Baptiste venus le trouver avec une question : 
————« Es-tu celui qui vient ou devons-nous en attendre un autre ? »
Jean le Baptiste lui-même veut y voir clair dans tout ce qu’il entend au sujet de Jésus, et sa question est directe.

La réponse de Jésus se déploie en deux temps :

A ce moment-là, Jésus guérit beaucoup de gens de maladies, d’infirmités et d’esprits mauvais,
et il donna la vue à beaucoup d’aveugles.
Puis il répondit aux envoyés :
«Allez rapporter à Jean ce que vous avez vu et entendu :
les aveugles retrouvent la vue, les boiteux marchent droit,
les lépreux sont purifiés et les sourd entendent,
les morts ressuscitent,
la Bonne Nouvelle est annoncée aux pauvres.
»”

——Les œuvres de Jésus, éclairées par leur conformité à l’Ecriture (toujours le livre du prophète Esaïe), révèlent qu’il est bien le Messie, un Messie plein de compassion et de bonté.

Temps de proximité du Royaume, temps de guérison et de restauration de l’être humain, c’est aussi pour certains un temps de crise. Des aveugles recouvrent la vue dans les villes et le long des chemins, mais lorsque la cécité est spirituelle, la présence de Jésus en est le révélateur sans concession. Ainsi les pharisiens sont-ils particulièrement et à plusieurs reprises dans les évangiles de Luc et Matthieu désignés comme aveugles et même des aveugles se complaisant dans leur cécité. Une semblable parole de Jésus se retrouvent dans les deux évangiles mais dans deux contextes différents. Chez Luc, elle est présentée explicitement comme une parabole dans le discours dans la plaine, Jésus s’adressant à ses disciples et à la foule (Luc 6,39) :

« Un aveugle peut-il guider un autre aveugle ?
——Ne tomberont-ils pas tous deux dans un trou ?
»


Cette parabole introduit l’enseignement suivant :

«Qu’as-tu à regarder la paille qui est dans l’œil de ton frère ?
——Et la poutre qui est dans ton œil à toi,
——tu ne la remarques pas ?
——Comment peux-tu dire à ton frère :
——“Frère, attends, que j’ôte la paille qui est dans ton œil !
——toi qui ne vois pas la poutre qui est dans le tien ? ”
——Hypocrite, ôte d’abord la poutre de ton œil !
——Alors, tu verras clair pour ôter la paille
——qui est dans l’œil de ton frère.
»


Dans l’évangile selon Matthieu (Matthieu 15,10 et suivants),

Jésus parle des pharisiens scandalisés car Jésus a dit à la foule :

«Ce n’est pas ce qui entre dans la bouche
——qui rend l’homme impur,
——mais ce qui sort de la bouche,
——voilà ce qui rend l’homme impur.»
——Jésus dit à ses disciples :
——« Laissez-les
(les pharisiens) :
——ce sont des aveugles qui guident des aveugles.
——Or, si un aveugle guide un aveugle,
——tous les deux tomberont dans un trou.
»


Cette courte sentence d’une sagesse universelle indique le danger pour ceux qui prétendent conduire qui que ce soit sur le bon chemin, vers la lumière. Elle invite chacun à aiguiser son regard sur lui-même avant tout, plutôt que de se comporter en hypocrite.

C’est dans un long développement au chapitre 23 de l’évangile de Matthieu que l’hypocrisie des pharisiens est clairement accusée. C’est un jour d’affrontement entre les pharisiens et Jésus dans le temple de Jérusalem. Jésus quittera du temple après une longue accusation pleine d’amertume et de colère devant l’entêtement, l’aveuglement des pharisiens : malheur à vous, scribes et pharisiens hypocrites et aveugles! Tout ce discours est rythmée par la cadence rapide et exaspérée des « Malheur à vous ! », cadence appuyée par la répétition des « Hypocrites ! » et des « Aveugles ! » qui alternent pour mieux dénoncer à la fois la conduite des pharisiens et les conséquences de leur conduite sur ceux qu’ils doivent, ceux qu’ils devraient guider.

Lier ainsi l’hypocrisie avec l’aveuglement constitue en fait une sorte de redondance. Car dans les textes bibliques, l’hypocrisie est un aveuglement, un aveuglement sur soi. L’hypocrite est celui qui ne voit pas la poutre dans son œil mais voit très bien la paille dans l’œil du voisin ; l’hypocrite est celui qui ferme l’entrée du Royaume des cieux à ceux qui voudraient y entrer et qui lui-même n’y entrera pas ; l’hypocrite est celui qui verse ostensiblement ses offrandes et la dîme sans se préoccuper de mettre en pratique la justice et la miséricorde. Notons également que si les pharisiens hypocrites et aveugles sont de plus qualifiés d’insensés, c’est bien que leur esprit est obscurci, enténébré, aveuglé.

——Révéler l’hypocrisie, dévoiler l’hypocrite (et les comportements des pharisiens ne sont ni plus ni moins que des comportements très très humains), ce que Jésus fait là, c’est aussi de donner à ces aveuglés de quoi recouvrer la vue, mais en passant toujours par une crise, crise dont il a payé le prix de sa vie, crise qui ne laisse pas indemnes ceux qui la traversent. A charge aussi pour les disciples de comprendre aussi que le mépris et la condamnation de l’autre, même pharisien, révèle pour soi-même, cette satisfaction de soi que provoque l’hypocrisie …

Autre crise dont les enjeux sont posés à l’occasion de la guérison d’un aveugle, c’est celle mise en scène dans l’évangile de Jean, au chapitre 9 : la guérison de l’aveugle-né (lire ce chapitre). Le récit de Jean est très ample. On lit d’abord un bref dialogue entre Jésus et ses disciples au sujet de cet aveugle qu’ils voient en passant. Bref mais important dialogue où Jésus affirme d’abord que la cécité de l’homme n’est pas la conséquence de ses péchés ni de ceux de ses parents, puis affirme ensuite qu’il est lui, Jésus, la lumière du monde. Lumière pour révéler ce qui est dans le monde, lumière pour révéler ce qui est au-delà du monde …

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——Puis la guérison de l’aveugle, obtenue avec l’application sur ses yeux d’une boue obtenue avec de la salive de Jésus et lavée à la piscine de Siloé dont le nom signifie “Envoyé”. Que de symboles dans ce récit de Jean ! Mais ce n’est pas fini car une première controverse éclate entre l’aveugle qui ne l’est plus et les pharisiens. Ceux-ci sont furieux qu’une guérison ait été accomplie le jour du sabbat, puis mettent en doute la cécité de l’homme, convoquant même ses parents pour être certains qu’il s’agit bien de leur fils, qui était bien aveugle. Les pharisiens ne veulent pas voir, ne veulent pas croire, et le ton monte encore contre l’ancien aveugle au sujet de celui qui l’a guéri, car les pharisiens ne veulent pas reconnaître l'origine de la puissance manifestée dans la guérison. Et l'aveugle qui ne l'est plus de rétorquer avec cette ironie dont Jean parsème son évangile :

« C’est bien là en effet ce qui est étonnant :
——c’est que vous ne sachiez pas qui il est,
——alors qu’il m’a ouvert les yeux
».


Chassé par les pharisiens, l’homme est retrouvé par Jésus qui lui dit :

« C’est pour un jugement que je suis venu dans le monde,
——pour que ceux qui ne voyaient pas voient,
——et que ceux qui voyaient deviennent aveugles
».


——Avec l’éclairage, l’illumination venue de la lumière du monde, les ténèbres véritables, et les aveugles véritables, ceux qui croient voir et ne croient pas quand ils voient, sont révélés. Les pharisiens et les lecteurs sont bien avertis, bien éclairés sur l’enjeu de la venue de la lumière du monde dans le monde. Passer de l’obscurité à la lumière, de la cécité à la vue, de l’incrédulité à la foi, enfin voir et croire, ce parcours est traduit à de multiples reprises dans l’évangile de Jean.

Bartimée aussi était aveugle. Sa guérison par Jésus est racontée dans un magnifique récit de l’évangile de Marc (10,46-52), un récit comme un miroir pour les disciples, les croyants. La figure de l’aveugle qui appelle et persiste dans son cri, celle de ceux qui ne veut ni l’entendre ni le voir et qui finissent par le conduire à Jésus, tout cela désigne aux lecteurs une succession d’attitudes empreintes d’une humanité qui est la leur, et qui est appelée à plus que les apparences ne le laissent voir.

Penchons-nous, pour terminer, un étrange récit du livre des Actes des apôtres (13,4-12) où un homme devient aveugle. Paul est à Paphos avec Barnabas. Paul est tout juste Paul, c’est la première fois depuis sa conversion que le récit des Actes revient vers lui. D’ailleurs le texte hésite, et le nomme encore Saul à plusieurs reprises. Donc Paul et Barnabas sont invités par le proconsul du lieu, qui désire entendre la parole de Dieu.

——Or dans l’entourage du proconsul se trouve un homme nommé Bar-Jésus ou Elymas, un mage que le texte qualifie d’entrée de soi-disant prophète. Et voici qu’Elymas s’élève contre la prédication de Paul et contre l’intérêt que le proconsul lui porte.

Alors Saul, ou plutôt Paul, rempli d’Esprit saint,
fixa son regard sur lui et lui dit :
« Toi qui es pétri de ruse et de manigance,
fils du diable, ennemi juré de la justice,
ne vas-tu pas cesser de fausser
la rectitude des voies du Seigneur ?
Voici du reste que la main du Seigneur est sur toi :
tu vas devenir aveugle, et jusqu’à nouvel ordre,
tu ne verras même plus le soleil. »
A l’instant même, l’obscurité et les ténèbres l’envahirent,
et il tournait en rond à la recherche d’un guide.


——Elymas voulait guider le proconsul sur une fausse piste, il ne voyait pas quel était le bon chemin Le récit ne dit pas si Elymas a trouvé un guide, ni au bout de combien il retrouvera la vue, 3 jours peut-être, comme un certain Saul qui était tombé sur le chemin de Damas où il voulait persécuter les chrétiens et qui ayant perdu la vue, a été guidé par la main jusqu’à la ville par ses compagnons, et est resté aveugle jusqu’à ce qu’Ananias, envoyé par le Seigneur, lui impose les mains… (Actes des apôtres 9,1-19)

De Bartimée, l’aveugle qui voit bien qui est Jésus, aux pharisiens aveugles qui ne voient pas ce qui est devant leurs yeux, entre ceux qui croient sans voir et ceux qui ne voient que ce qu’ils croient, laissons pour une fois le dernier mot à un personnage non biblique, un renard qui disait à un petit prince : « On ne voit bien qu’avec le cœur.»

Dominique HERNANDEZ

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L'article qui précède est le texte de l'émission
“Un mot de la Bible” sur Fréquence Protestante 100.7 FM
du samedi 26 janvier 2008.

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