
Qu'est-ce qu'une parabole ?
Un mot de la Bible
par Patrice Rolin ...
• Parabole, le mot parabole ... rassurez-vous, nous n'allons pas parler des antennes réceptrices de signaux satellites qui prospèrent sur les toits de nos maisons et sur les balcons de nos villes.
——Encore que les paraboles dont nous allons parler ont bien quelque chose
——à voir avec la réception d'un message.
• Parabole, le mot parabole ... Si vous êtes versé dans la géométrie ou la balistique, alors ce mot évoque sans doute pour vous la courbe mathématique qui caractérise la trajectoire d'un corps en chute libre. Ce n'est pas non plus de la courbe géométrique dont nous parlerons.
——Encore que cette façon détournée d'atteindre un but,
——cette courbe grande ouverte vers un ailleurs,
——ait aussi quelque chose à voir avec les paraboles dont nous allons parler.
• Parabole, ... vous l'avez compris, c'est des paraboles de la Bible dont il sera question ici.
——Dans ce contexte, le mot parabole,
——fait naturellement penser à l'enseignement de Jésus.
——Et il évoque communément un mode de communication
——qui vise à la simplicité.
——Un détour par le dictionnaire confirme d'ailleurs cette impression :
- Le dictionnaire définit en effet la parabole comme une comparaison imagée illustrant un enseignement.
- L'étymologie nous confirme encore dans cette première impression de simplicité, puisque le mot grec pour parabole (parabolê) a aussi donné par contraction notre mot “parole”, et même le mot “palabre”.
- Enfin, les évangiles contiennent de nombreuses paraboles dans lesquels Jésus s'adresse aux foules en employant des images de la vie quotidiennes, des images dont beaucoup de commentateurs soulignent la fraîcheur et la simplicité.
——Voilà donc un terme à priori sans ambiguïté, synonyme d'explication, d'illustration enracinée dans la vie de tous les jours.
Il vaut pourtant la peine de se demander : “Qu'est-ce qu'une parabole ?”
Pourquoi cette question ?
——C'est que, ce que nous venons de dire à propos du mot parabolê est partiellement exact, mais seulement partiellement. Cela ne recouvre pas, tant s'en faut, la richesse et la diversité du discours parabolique.
Un langage imagé ? Pas seulement !
——On retrouve ce genre de discours dans la plupart des traditions religieuses. En effet, comment dire l'indicible sinon par comparaison ? Comment mettre en recherche sans poser une distance entre le discours et l'objet de la quête ?
——La langue de l'Ancien Testament a naturellement recours à l'image, et la Bible hébraïque utilise abondamment un langage imagé. Ce discours figuratif y est désigné par le mot hébreu mashal qui peut qualifier une image, une comparaison, un proverbe, une fable, une parabole, une devinette, une énigme, une allégorie....
——Il s'agit donc de tout discours imagé, souvent exprimé dans un style poétique.
——On trouve ainsi dans l'Ancien testament des récits imagés, comme la fable des arbres qui décident de se choisir un roi (dans le livre des Juges, chapitre 9), ou encore le récit exemplaire de la brebis du pauvre, que le prophète Natan raconte à David (dans le 2nd livre de Samuel au chapitre 12).
——Lisons cette histoire typiquement parabolique.
——Pour la comprendre, retraçons rapidement son contexte :
————————(pour lire l'ensemble du récit, cliquer ici)
——Le roi David a couché avec la femme d'un de ses généraux qui était alors à la guerre ; celle-ci est maintenant enceinte ; le roi David tente alors de dissimuler l'affaire ; mais n'y parvenant pas, il se débrouille pour faire tuer au front l'époux trompé. C'est à ce moment que nous prenons le récit en route :
“... Alors Dieu envoie le prophète Natan vers le roi David.
Natan entre chez le roi et lui raconte cette histoire :
——« Dans une ville, il y avait deux hommes.
——L'un était riche, l'autre était pauvre.
——Le riche avait beaucoup de moutons
——et beaucoup de bœufs.
——Le pauvre n'avait rien du tout,
——sauf une petite brebis qu'il avait achetée.
——Il lui donnait à manger,
——et la brebis grandissait avec ses enfants.
——Elle mangeait la même nourriture que lui
——et elle buvait le même lait.
——La brebis dormait à côté de lui.
——Elle était comme sa fille.
——Un jour, un visiteur arrive chez l'homme riche.
——Mais l'homme riche ne veut pas prendre un mouton
——ni un bœuf de son troupeau pour préparer le repas.
——Alors il prend la petite brebis du pauvre et la fait cuire
——pour offrir un repas à son visiteur. »
Ayant entendu cela, le roi David se met dans une violente colère contre cet homme riche
et il dit au prophète Natan :
——« Aussi vrai que le SEIGNEUR est vivant,
——l'homme qui a fait cela mérite la mort !
——Il a agi sans aucune pitié !
——Il doit remplacer la brebis volée
——par quatre autres brebis !»
Le prophète Natan dit alors à David :
——« L'homme qui a fait cela, c'est toi ! ...»”
——On le voit bien, le mashal, la parabole racontée par le prophète Natan est bien plus qu'un simple enseignement imagé. Il s'agit d'un discours qui vise une prise de conscience, un changement de regard, une véritable transformation de la part de l'auditeur.
——Jésus s'inscrit dans cette tradition, une tradition que l'enseignement des maîtres juifs prolongera longtemps encore.
——Ce procédé d'enseignement est en effet tenu en haute estime par le judaïsme rabbinique, écoutons ce passage du Cantique Rabba (1,7-8) :
“Nos maîtres ont dit :
«Que le mashal ne soit pas une petite chose à tes yeux,
parce que, grâce à lui,
l'homme peut comprendre les paroles de la Torah. ...
Parabole d'un roi qui dans sa maison,
a perdu une pièce d'or ou une pierre précieuse.
Ne la cherche-t-il pas avec une mèche
qui ne vaut pas plus d'un sou ?
Ainsi le mashal ne doit pas être une petite chose à tes yeux
parce que grâce à lui
on peut pénétrer les paroles de la Torah.”
——On trouve ainsi de nombreuses paraboles rabbiniques qui se présentent comme l'explication d'un passage de la Loi.
——Une explication, certes, mais comme tout langage figuratif, le mashal ou la parabole ne font pas qu'expliquer en illustrant : Ils invitent aussi à la recherche du sens. En effet, parlant de façon figurée, ils mettent une distance entre le discours et son objet. Ils le tiennent d'une certaine façon à l'écart, empêchant l'illusion d'une compréhension immédiate.
——C'est d'ailleurs là le sens étymologique du mot parabolê :
——En effet, le verbe grec para - balô qui signifie “jeter à coté de...”.
——Et c'est bien de cela qu'il s'agit dans une parabole : au lieu d'aborder une question dans un langage direct, elle pose “à coté” de la situation dont il est question une réalité d'un autre ordre. Une réalité d'un autre ordre, mais en rapport analogique avec cette le problème abordé.
——La parabole permet ainsi à son auditeur, ou à son lecteur, d'avoir un regard excentré sur cette question, et finalement sur lui-même.
——Jésus n'a donc pas l'exclusivité des paraboles. Mais, si l'on en croit les évangiles, il semble qu'il ait abondamment utilisé ce type de discours. Jésus s'inspire alors parfois de thèmes paraboliques classiques en les infléchissant, d'autres fois il crée de nouvelles paraboles.
——Dans le sens, très large,de “petit récit fictif à vocation pédagogique”, on peut repérer dans les évangiles plus de quarante paraboles attribuées à Jésus. Mais, de nouveau, dans les évangiles, comme ailleurs, la parabole est rarement réduite au simple rôle d'illustration d'un enseignement. De fait, elle a souvent pour fonction de transformer le regard de ses auditeurs sur le sujet qu'elle aborde.
——Ce rôle de révélateur attribué aux paraboles est particulièrement net dans l'évangile de Marc, le plus court des évangiles, qui regroupe l'essentiel des paraboles qu'il cite dans son chapitre 4. C'est d'ailleurs vraisemblablement Marc qui introduit dans la tradition évangélique le terme de parabolê. Et il est frappant que pour lui ce terme semble revêtir un sens très précis, ... un sens paradoxal.
Les paraboles de l'évangile de Marc
(lire ces paraboles)
——Ce chapitre 4 de l'évangile de Marc contient trois paraboles concernant les semailles :
• La parabole “du semeur” (versets 1 à 9) et son explication allégorique (versets 14 à 20);
• La parabole de “La semence qui pousse toute seule (versets 26 à 29)
• et la parabole de “La graine de moutarde” (versets 30 à 32)
——Intéressons-nous au contexte dans lequel l'évangéliste place ses paraboles. Elles se trouvent en effet dans un contexte tout à fait particulier :
——Ce chapitre est surprenant : alors qu'à plusieurs reprises Jésus invite à l'écoute, dans le cadre d'un enseignement aux foules (versets 2, 3 et 9), plusieurs passages (versets 10-12 et 33-34) semblent comprendre les paraboles comme un langage énigmatique (v.11), un langage destiné à empêcher la conversion et même le pardon (!) (v.12), un enseignement dont l'explication n'est accordée qu'aux seuls disciples, en privé (versets 10 et 34).
——Ce qui choque donc à première lecture dans ce chapitre c'est qu'il semble qu'au moyen des paraboles Jésus veuille exclure ceux qui ne font pas partie du groupe de ses douze disciples. Ceux qui ne font pas partie du groupe n'ont pas accès à l'explication d'un discours que l'on croyait pourtant destiné à tous.
——Et pourtant, l'explication de la parabole du semeur (versets 14 à 20) invite à l'écoute et à l'accueil de la parole. Et puis la parole à propos de la lampe qui doit briller (versets 21 à 25) insiste sur le fait que l'objectif de Jésus est bien un dévoilement et non un langage de dissimulation (versets 21 à 22). Qu'en est-il donc ?
——En matière de parabole, s'agit-il de voiler ou de dévoiler ?
——La réponse à cette question est paradoxale :
——Voiler ou dévoiler ? Pour l'évangéliste Marc : les deux à la fois !
——Astucieusement, alors que Marc précise que l'explication des paraboles est réservée aux disciples, l'évangéliste nous fait remarquer à la fin du chapitre 4, comme dans de nombreux autres passages (4,41 ; 6,52 ; 8,18.21 ; ...),que les disciples n'ont rien compris !
——Pire, dès que survient une épreuve, dans la tempête par exemple (4,35-41), ils oublient les appels à la confiance qui viennent de leur être fait. C'est que, pour Marc, on peut être “l'un des douze”(14,10.43), voire même être de la famille de Jésus (3,31), et être “au-dehors”, c'est-à-dire ne rien comprendre, ou pire, rejeter et trahir Jésus lui-même. “Pour ceux du dehors, tout arrive en parabole”.
——A l'inverse, chez Marc, des personnes sorties de la foule peuvent montrer une compréhension profonde de Jésus (voir par exemple 3,33-35 ; 5,25-35 ; 10,46-52 ; ...).
——Chez Marc les choses ne sont donc pas figées. C'est l'attitude face à la parole de Jésus qui va définit si l'auditeur est "au-dedans" ou "au-dehors" du cercle des disciples. C'est la façon de recevoir la parabole qui va situer l'auditeur.
——Tout se joue dans la façon dont l'homme entend (4,23-25), et pour “ceux du dehors” tout devient énigmatique (4,11), alors la parabole voile au lieu de dévoiler). Ainsi, la parabole fonctionne pour Marc comme un révélateur qui manifeste ce qui est en chacun de ses auditeurs (voir Marc 12,12).
——C'est finalement la capacité d'écoute qui peut transformer quelqu'un de la foule en un disciple à qui l'accès au règne de Dieu est donné.
—————«Qui a des oreilles pour entendre, qu'il entende !»
Tel est lu qui croyait lire ... !
——La capacité d'écoute, c'est-à-dire peut-être la capacité à se laisser soi-même lire par la parabole :
————J'écoute, je lis une parabole, mais en fait, c'est la parabole qui me lit.
——Comme la parabole de la brebis du pauvre, raconté au roi David,
————comme la parabole des ouvriers de la onzième heure,
————dans l'évangile de Matthieu,
——des paraboles qui lisent,
————des paraboles qui décryptent leurs auditeurs.
——Ainsi lues, les paraboles peuvent être un véritable langage de changement, un langage qui porte en lui-même la capacité de transformer le regard sur le monde.
——Un langage qui permet à son auditeur (lecteur) un nouveau regard, un regard excentré sur lui-même.
——A condition bien sûr, qu'il accepte de se laisser lire par l'histoire qu'il lit.
——En ce sens, la Bible tout entière peut être lue comme une parabole.
Patrice ROLIN
L'article qui précède est le texte de l'émission
“Un mot de la Bible” sur Fréquence Protestante 100.7 FM
du samedi 22 novembre 2008.
– Ecouter cette émission en ligne –
——Lire quelques paraboles ...
—————• Des paraboles "du Royaume” ...
—————• La parabole dite des “Ouvriers de la 11ème heure”
—————• Les paraboles de l'évangile de Marc
—————• “Qui est mon prochain ?”
—————• Un homme et ses deux fils ...