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BAPTIZÔ, BAPTISMA, baptiser, baptême

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——Il y a parmi les mots de la Bible, des mots innocents, des mots simples, des mots que l'on aborde comme on cueille des fleurs, sans se soucier de ce qu'on en fera, des mots à lire et à réunir pour le simple plaisir de rapporter à la maison un bouquet qui égaiera la journée et fanera au grès de la mémoire. Le verbe baptizô et le nom baptisma qui en découle ne sont pas de ces mots-là. Ce mot n'est pas une fleur, c'est une forteresse...

Un mot de la Bible,
par Jean-Pierre Sternberger ...



... Ces mots, baptizô et baptisma, il faut les prendre, les faire garder pour éviter qu'ils ne tombent aux mains de l'ennemi. Ces mot furent et restent l'enjeu d'une bataille théologique.

——Pour ces mots, on s'est battu et certains luttent encore. Certains chrétiens se définissent à travers lui et se proclament “baptistes”, ce qui sous-entend que les autres ne se sont pas. Ils sont en fait “baptistes” par rapport aux “pédobaptistes” qui parfois les accusent d'être des “anabaptistes”. Je traduis : ils sont partisans du seul baptême des adultes à la différence de ceux qui baptisent aussi des nourrissons et des enfants et qui souvent accusent les premiers de pratiquer le re-baptême, de baptiser à nouveau des personnes qui ont déjà été baptisées enfants. De plus, souvent, les baptistes baptisent par immersion, la personne étant entièrement plongée dans l'eau quand la plupart des pédobaptistes (mais pas tous : les orthodoxes pratiquent l'immersion des bébés) baptisent par aspersion, quelques gouttes d'eau étant versées sur la tête du baptisé. Les courants baptistes ont souvent été persécutés par les Eglises ou les états d'une manière proprement scandaleuse. Il faut dire que l'affaire est importante : cette divergence au sujet de la manière de vivre ce rite renvoie à la signification de ce rite, et comme il s'agit d'un rite d'entrer dans l'Eglise, à la définition du membre de l'Eglise et donc à la définition de l'Eglise elle-même. C'est donc avec prudence que nous aborderons maintenant les mots grecs et baptisma, ces mots de la Bible pas tout à fait comme les autres.

Dans la Grèce antique

——Baptizô et baptisma font partie d'une grande famille de mot dont le chef pourrait être le verbe Baptô, qui signifie “plonger, tremper” . Quand, dans une des scènes les plus célèbres de l'Odyssée d'Homère, Ulysse rend aveugle le Cyclope Polyphème, il plonge son épieu dans son œil “comme un forgeron bronzier plonge une hache dans l'eau froide” (Odyssée IX 392).

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——Voilà le geste signifié par le verbe Baptô. Geste du forgeron il est aussi celui du teinturier qui plonge son tissu dans la teinture. Aux modes passif et passif, baptô signifie aussi “se teindre les cheuveux”. On trouve dans la famille de baptô différents mots ayant trait à la teinture : Baptos, “plongé dans un liquide” d'où « teint », ou encore “qui sert à la teinture” , bapsis et bafê, “l'immersion, la teinture” , bapsimosqui désigne un objet qu'on peut teindre, bafeus teinturier.
——En grec moderne, la teinture se dit vafi, on dit vafô pour “je teins” mais aussi je peins” alors que vafomé signifie “je me maquille” et que la maquillage se dit vapsimo !
——Ce sens de plonger se retrouve en grec ancien le mot embafion qui désigne le bol de sauce dans lequel on trempe le pain, les légumes ou la viande.

Avec une orthographe un peu différente, on trouve aussi dans cette grande famille de mots l'adjectif bathus qui signifie “profond” et à sa suite une centaine de mots grecs construits avec ce terme. Retenons le verbe bathunô, “rendre profond” , d'où “creuser”, l'adjectif bathuponéros, qui signifie “profondément méchant” et un mot que nous avons adopté en lui conférant un autre sens : en grec ancien bathiskafés est un adjectif qui signifie “creusé profondément”. Le professeur Picard en a fait un nom et lui a donné un autre sens à partir du fait que le nom “skafé” désigne aussi toutes sortes d'objets creusés, et notamment une barque : désormais le nom “bathyscaphe” remplace “thalassosphère” pour désigner le vaisseau destiné à l'exploration des grandes profondeurs marines.

Enfin, il y a les mots que nous connaissons bien : baptizô qui en grec occidental devint parfois biptazô, « immerger, plonger », baptés, le prêtre plongeur du culte de la déesse thrace Kotitto, baptisis, baptisma ou encore baptismos qui signifient avant de prendre le sens de “baptême” et enfin baptistês qui désigne celui qui immerge mais qui pour nous renvoie à la personne de Jean-Baptiste, littéralement “Jean l'immergeur”.

——Tous ces mots ont en commun l'idée de plonger, d'entrer profondément dans un liquide que ce soit de l'eau, de la teinture ou encore de la sauce. Et la bible qui utilise ce vocabulaire reprend bien entendu cette idée.

Dans le Premier Testament

Nous trouvons le verbe baptô en Ezéchiel 23,15 un verset qui a visiblement posé quelques difficultés au traducteur. A propos d'une image représentant des Chaldéens, on nous dit selon la Traduction Œcuménique de la Bible, qu'ils avaient la tête “surmontée d'un turban”. La Nouvelle Bible Segond déclare qu'ils portent “un turban luxueux sur la tête”. De quoi s'agit il ? Le texte hébreu évoque littéralement “des pans de matière immergée” (?!), ce qu'on peut effectivement comprendre comme la désignation de grands morceaux de tissus teints. Le traducteur grec reconnaît là la tiare, cette coiffure des Perses décrite par Hérodote,et qui est un turban en forme de cône, large en bas et étroit dans le haut. On lit dans la Septante les mots tiarai baptai, des “tiares plongées”, c'est à dire vraisemblablement teintes.

Les emplois du verbe baptizô ans le premier Testament ne posent aucun problème. L'histoire de Naaman nous apprend que ce syrien atteint d'une maladie de peau s'immergea dans le Jourdain :
——Il  descendit, il se plongea (‘se baptisa’) dans le Jourdain
——et sa chair fut transformée en la chair d'un petit enfant et il fut purifié
.”
—————————————————————————(2 Rois 5,14)
——De même la belle Judith va se baigner tous les soirs à la source qui se trouve dans le camp syrien où elle s'est rendue (Judith 12,7) .
——Le livre du Siracide évoque un rite de purification consécutif à un décès :
——Celui qui a été immergé à la suite d'un contact avec un cadavre
——et de nouveau le touche, à quoi lui a-t-il servi de prendre un bain ?

—————————————————————————(Siracide 34,25).
——De façon imagée, le prophète Esaïe déclare “l'injustice me submerge” (Esaïe 21,4).

Dans tous ces cas et conformément aux sens des mots de la famille de , c'est le sens de plonger qui ressort.

Dans le Nouveau Testament

Qu'en est il du Nouveau Testament ? On y retrouve l'idée d'une immersion en vue de laver un corps humain ou un objet. En Marc 7,4, l'évangéliste explique certaines coutumes juives :
——quand ils reviennent de la place publique,
——ils ne mangent qu'après avoir été ‘baptisés’.
——Ils ont encore beaucoup d'autres observances traditionnelles,
——comme le “baptême” des coupes, des cruches et des vases de bronze. 


——Mais ce n'est qu'un usage restreint du verbe baptizô dans le Nouveau Testament. La plupart des autrres cas concerne le baptême, qu'il soit de Jean ou celui pratiqué dans les communautés chrétiennes.
Nous n'allons pas dans ce cours exposé envisager toutes les questions relatives au baptême, son origine, sa signification. D'autres l'ont fait et leurs ouvrages sont dans toutes les bonnes bibliothèques. Soulignons simplement deux ou trois informations en lien avec le sens du verbe baptizô.

Commençons par Paul, l'auteur le plus ancien du Nouveau Testament.
Aux Galates il écrit :
——Vous en effet, vous avez été baptisés en Christ, vous avez revêtu Christ.”
————————————————————(Galates 3,27)
——Pour Paul, le baptême ne correspond absolument pas à une purification, un dépouillement, une manière de se laver de l'impureté, du péché ou de je ne sais quoi. Il s'agit au contraire de plonger dans le Christ, de le revêtir et si on se rappelle de la notion de teinture de s'imprégner de la couleur du Christ. Le baptême n'est donc ici pas un moins dans le sens du décrassage mais un plus : un plus de couleur dans une vie jusque là un peu terne. Le croyant revêt un nouveau vêtement comme le fait dans la parabole de Luc 15 le fils cadet dépouillé de tout mais habillé de la tendresse de son père.
——Le même Paul écrit aux Chrétiens de Rome :
——Ignorez-vous que nous tous qui avons été baptisés en Jésus-Christ,
——c'est en sa mort que nous avons été baptisés ?

————————————————————(Romains 6,3).
Il poursuit :
——par ce baptême dans la mort ( = ‘par cette plongée dans la mort’),
——nous avons été ensevelis avec lui
——afin que tout comme le Christ s'est réveillé
——d'entre les morts, par la Gloire du Père,
——ainsi nous aussi dans un renouvellement
——de la vie nous nous mettions en marche.

————————————————————(Romains 6,4)
——Notons le temps des verbes.
——Il ne s'agit pas de ce qu'il faudrait faire, de ce que nous allons faire, de ce que nous voudrions faire. Il s'agit de ce que nous avons vécu. Nous avons été baptisés, nous avons revêtu, nous avons été ensevelis dans sa mort. L'identification ou plutôt l'incorporation au Christ mort et ressuscité est derrière nous. Le baptême n'est pas un programme auquel cas il faudrait se baptiser tous les matins et même à toute heure du jour et de la nuit. Ce baptême est une réalité donnée, un point de départ, un fait du passé. Christ est mort et enseveli. Vous aussi en lui. Il est ressuscité, il marche vers d'autres réalités et d'autres rencontres : vous aussi dans le renouvellement de la vie.

——Du coup, pour Paul, le geste du baptême n'est pas si important que cela. Il lui est arrivé de baptiser des personnes voire des familles entières avec femmes, enfants et peut-être esclaves (1 Corinthiens 1,16). Il est même peut-être arrivé de faire ce qu'aucun prêtre ou aucun pasteur n'accepterait de faire aujourd'hui : baptiser des gens à la place de personnes décédées (1 Corinthiens 15,29). Paul a célébré des baptêmes mais il se réjouit aussi de ne pas avoir baptisé : “je rends grâce, écrit-il aux Corinthiens, de n'avoir baptisé aucun d'entre vous, excepté Crispus et Gaius” (1 Corinthiens 1,14) et plus loin, il s'explique : “ce n'est pas pour baptiser que le Christ m'a envoyé, c'est pour annoncer l'évangile” (1 Corinthiens 1,17). En d'autres termes et si on me permet ici un doigt de polémique, si Paul était bien bien évangélique, je ne suis pas sûr qu'il aurait accepté l'étiquette de “baptiste”.

Baptême Yovhannès, musée arménien d'Ispahan.jpg
(Baptême Yovhannès, musée arménien d'Ispahan)


Mais s'il est un « baptiste » dans le Nouveau Testament, ce n'est pas Paul, c'est Jean : Jean-Baptiste. Il semble même que sa principale occupation consistait à pratiquer un “baptême de repentance, en vue du pardon des péchés” (Marc 1,4).

——S'il est difficile de connaître la teneur exacte de la prédication et de la théologie de Jean puisqu'elle ne nous est connue que par le biais de la transmission par les auteurs chrétiens en fonction de ce qu'ils pensaient du baptême chrétien, il ne fait pas de doute que Jésus a reçu ce baptême par le ministère de Jean. Les récits qui nous en sont donnés mentionnent l'apparition d'une colombe (Marc 1,10) et évoquent l'épisode du déluge, l'immersion d'un monde ancien rendue nécessaire pour qu'apparaisse une nouvelle création (Genèse 8,9-11.22 ; 9,8-12). Marc retrouve donc l'idée d'un renouvellement de la vie cher à Paul. Il souligne aussi que ce renouvellement passe par la mort et la résurrection du Christ auquel le croyant s'associe en prenant la cène et en recevant le baptême :
——vous boirez -dit Jésus- la coupe que je dois boire,
——et vous serez baptisés du baptême dont je dois être baptisé.

——————————————————(Marc 10,38-39)
——Vous serez plongés de cette immersion dont je dois être immergé. Baptisés, plongés, immergés imprégnés de la vie du Christ comme le tissu s'imprègne des pigments du bain de teinture. Non pas peints en surface seulement mais imprégnés.

——Tel me semble le sens de ces mots de la Bible : baptizô et baptisma.

Jean-Pierre STERNBERGER

 

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L'article qui précède est le texte de l'émission
“Un mot de la Bible” sur Fréquence Protestante 100.7 FM
du samedi 11 octobre 2008.

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Un ouvrage collectif grand public reprenant le mot traité dans cette note, et une vingtaine d'autres mots "passés" du grec dans la langue française est disponible au éditions Passiflores : 

Des mots de la Bible. Le grec que vous parlez sans le savoir.

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(chaque mot fait l'objet d'une enluminure par Marie-Hellen Geoffroy)

Editions Passiflores, octobre 2010 (143 pages ; 17 €uros)

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