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KALOS

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——————————(Oiseaux dans l'espace, Constantin Brancusi)

Kalos, en grec, c’est beau et c’est bon.
Beau et bon, bon ou beau, en voici deux mots aimables, intéressants, et aussi brefs que vastes.
———Qu’est-ce que le bon ? Qu’est-ce que le beau ?
Il y en faudrait des livres et des livres pour creuser ces deux questions, déplier leurs ramifications, leurs implications ; et la question du lien entre ‘le beau’ et ‘le bon’ représente à elle seule un domaine entier de la philosophie.
———C'est plus simplement à l'utilisation du mot kalos dans la Bible que cette note est consacrée.

Un mot de la Bible par
Dominique Hernandez ...

Kalos c’est beau et c’est bon.
C’est l’un ou l’autre, ou l’un et l’autre car ce qui est bon peut être beau et inversement, mais pas toujours.
D’où le choix nécessaire de la part des traducteurs lorsque le texte biblique grec présente kalos à leur savoir, à leur sagacité. Quand traduire par beau (ou belle), quand traduire par bon (ou bonne) ?
——Le choix semble parfois très facile, les traducteurs n’ont pas hésité à transmettre que Suzanne, Judith ou Esther sont belles. Sans aucun doute, c’est leur apparence qui attire sur elles, pour Esther les faveurs du roi Artaxerxès, ou pour Suzanne les regards concupiscents de deux vieillards (lire Daniel grec 13), tandis qu’Holopherne, général en chef de l’armée d’Assour perd toute prudence et la vie à cause de la beauté de Judith. Nombre d’œuvres d’art représentant les scènes principales de ces récits ont permis à leurs auteurs de rendre compte de leur conception de la beauté. Toute subjective qu’elle soit, la notion de beau est évocatrice pour chacun quels que soient son époque, sa culture, ses goûts, ses sentiments.
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——————————(Susanne au bain, Le Tintoret 1555-1556)

Sans hésitation, on dira également que le vin est bon à la noce de Cana, le vin que les serviteurs ont puisé dans les jarres d’eau après que Jésus leur eût commandé de le faire. Un vin tellement bon que le maître du repas s’en étonne auprès du marié : n’aurait-il pas mieux valu servir le bon vin avant que les convives soient trop gris pour le savourer ?
——Apparence ou saveur, kalos rend compte du beau et du bon, mais le bon goût du vin de Cana commence à parler d’un bon, d’un bien donné à travers le bon vin puisque “tel fut, à Cana, le commencement des signes de Jésus (Jean 2,11) poursuit le narrateur sans autre transition avec la question du maître du repas.
——Ce glissement est par exemple parfaitement sensible dans une expression particulière où ce n’est pas kalos mais un de ses synonymes qui est employé pour dire ‘beau’ :
qu’ils sont beaux les pieds
de ceux qui annoncent de bonnes nouvelles

(lettre de Paul aux Romains 10,15 reprenant le prophète Esaïe 52,7)
——Ce qui porte du bon est dit beau. Cette compréhension du beau comme étroitement conjugué au bien, à ce qui est bon, est même dans certaines cultures la seule existante ; par exemple chez les Inuit, est beau ce qui convient, ce qui est parfaitement approprié, adapté : la notion de beauté relève du registre moral ou relationnel, ou utilitaire.

Et c’est ainsi que la plupart des emplois de kalos dans le Nouveau Testament dans la Traduction Œcuménique de la Bible, car évidemment tout dépend de la traduction, rendent compte d’un ‘bon’ ou d’un ‘bien’ plus que d’un ‘beau’ dans le sens esthétique du terme.
——Sauf dans les épîtres à Timothée où la traduction de kalos se partage de manière quasi égale entre bon et beau (ou belle et bonne). On entend aisément en français que l’auteur de l’épître exhorte Timothée à être un bon diacre plutôt qu’un beau diacre. Mais ce qui est agréable aux yeux de Dieu, “une vie calme et paisible en toute piété et dignité (1Timotée 2,3), est-ce beau ou bon, ou les deux ? C’est kalos dans le texte, et le traducteur a choisi beau, mais bon n’aurait-il pas tout aussi bien convenu ? De même pour la doctrine que Timothée suit, elle est belle dans la TOB mais elle est aussi bonne. C’est aussi le cas dans la même épître du beau combat que Timothée mène, ou des belles oeuvres qu’il est incité à mettre en actes : sont-elles belles ou bonnes ou belles parce que bonnes ?

La conjonction des deux compréhensions dans le même mot n’est bien sûr pas propre au Nouveau Testament, bien des philosophes se sont attachés à traiter du bien qui permet de définir ce qui est « bon » et à en tirer des conséquences pour élargir la notion de beauté au-delà de l’aspect esthétique, vers le domaine de la morale.
——Du point de vue de la foi, la référence du bon n’est pas ailleurs qu’en Dieu. C’est ainsi que Jésus commence par répondre à un homme qui lui pose une question en l’appelant “bon maître” :
«Pourquoi m’appelles-tu bon ?
Nul n’est bon que Dieu seul.
»
—————————————————————(Luc 18,18-19)
——Ce n’est pas kalos dans le texte grec, c’est agathos, mais les mots s’éclairent les uns les autres n’est-ce pas ? De telle manière que cette référence absolue étant posée, ce qui est bon, kalos, est en lien ferme avec Dieu, comme la Loi et l’apôtre Paul d’expliquer au chapitre 7 de l’épître aux Romains que malgré la Loi bonne, le péché habitant en l’homme l’empêche de faire le bien.

On peut alors passer aisément aux textes du Nouveau Testament évoquant le comportement du croyant. Par exemple avec le discours de Jésus au chapitre 6 de l’évangile de Luc, discours dans lequel Jésus utilise l’image de l’arbre et de ses fruits :
« Il n’y a pas de bon arbre qui produise du fruit malade
et pas davantage d’arbre malade qui produise du bon fruit.
» —————————————————————(Luc 6,43)
——Malade, entendons ‘mauvais’, le contraire du ‘bon’. Les images des arbres parlant des hommes, Jésus passe ensuite de la métaphore à la réalité : la différence entre l’homme bon et l’homme mauvais tient à l’écoute de ce que dit Jésus, l’écoute attentive, l’écoute du cœur, celle qui influe sur le comportement de l’être humain ; tout ce passage de l’évangile de Luc est pétri d’une grande exigence éthique. Seule l’écoute des paroles de Jésus (bonnes paroles !) peut venir à bout de l’hypocrisie, c’est à dire de l’aveuglement sur soi-même qui conduit par exemple à juger l’autre à cause d’une paille dans son œil sans reconnaître la poutre qui est dans le sien !

Autre image, et c’est même toute une parabole où le ‘bon’ est largement mis en scène : la parabole du semeur, par exemple la version de Matthieu au chapitre 13. Du grain tombe au bord du chemin, ou dans des endroits pierreux, ou dans les épines. Il n’y a alors pas de fruit. Mais du grain est semé aussi dans la bonne terre et la récolte est extraordinaire. L’explication que Jésus donne de la parabole est parfaitement claire :
« ... celui qui a été ensemencé dans la bonne terre,
c’est celui qui entend la parole et comprend ;
alors il porte du fruit et produit l’un cent,
l’autre soixante, l’autre trente.
» ——————————————————(Matthieu 13,23)
——Et suit immédiatement après une autre parabole du Royaume, celle d’un homme qui sème du bon grain dans son champ ; mais son ennemi vient et sème de l’ivraie dans le champ et tout est mêlé. Mais ce ne sont pas les serviteurs du propriétaire du champ qui auront la tâche de séparer le bon grain de l’ivraie.

La Parole de Dieu comme un bon grain, l’image a été et est largement répandue ! Bonne Parole par excellence, par référence, on ne s’étonnera pas alors que l’évangile qui présente Jésus comme Parole de Dieu faite chair, lui attribue aussi le qualificatif de “bon” dans une image issue elle aussi tout droit d’un monde rural.
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C’est en effet dans l’évangile de Jean que Jésus déclare :
——« Je suis le bon berger »
—————————————(Jean 10,11)
Il poursuit en disant :
——« le bon berger se dessaisit de sa vie
———pour ses brebis
».

——Le bon berger est bien celui qui remplit parfaitement, jusqu’au bout sa fonction. Kalos, beau et bon, dit effectivement la qualité de l’adéquation du berger, des actes et paroles de Jésus, avec la volonté de Dieu.
——C’est ce que Jésus développe en reprenant son affirmation « je suis le bon berger » au verset 14, et en l’appuyant sur la parfaite connaissance que le Père a de lui et celle qu’il a du Père, ainsi que sur sa parfaite obéissance, jusqu’au bout, au commandement qu’il a reçu du Père. Cette obéissance, cette fidélité qui font de lui le bon berger, l’évangile de Jean l’exprime à de nombreuses reprises par l’amour, lien entre le Père et le Fils, entre le Fils et ceux qui lui ont été donnés.


Mais lisons encore un peu plus loin :
Les juifs, à nouveau, ramassèrent des pierres pour le lapider. Jésus reprit : «Je vous ai fait voir tant d’œuvres belles qui venaient du Père. Pour laquelle de ces œuvre voulez-vous me lapider ?»
Les Juifs lui répondirent : «ce n’est pas pour une
belle œuvre que nous voulons te lapider, mais pour un blasphème, parce que toi qui es un homme, tu te fais Dieu.»” ————————————————————(Jean 10,31-33)
——Les adversaires de Jésus ne supportent pas la parole de Jésus, ni l’idée d’une telle proximité, d’une telle égalité entre Jésus et Dieu, mais que Jésus lui-même ne soutient pas, il est Fils de Dieu et non Dieu. Et pourtant ces belles œuvres n’auraient pas été accomplies sans la communion existant entre le père et le Fils. La conviction de l’évangile de Jean est plus forte que les arguments des détracteurs, même si elle ne se prouve pas et ne se dit pas autrement qu’à travers les paroles de Jésus aux Juifs ou à ses disciples.
——Belles œuvres, comme celle de Cana où le bon vin est donné en abondance, elles témoignent d’une bonté et d’une bienveillance extrêmes mises en actes pour le salut de l’humanité, pour la vie promise à tous. C’est cet “ être pour ” que reconnaissent les disciples de Jésus, et il pourrait être une manière de comprendre kalos : est ‘bon’, mais c’est beau aussi, ce qui est “pour la vie des vivants”, vie qui, le quatrième évangile a pris soin de le préciser dès son ouverture, est en Dieu.

La beauté et le bien exprimés par kalos et ses synonymes parsèment les écrits du Nouveau Testament comme l’écho persistant d’une quête ininterrompue et inassouvie, et exigeante ainsi que Paul le rappelle dans la première épître aux Thessaloniciens :
Examinez tout avec discernement : retenez ce qui est bon ; tenez-vous à l’écart de toute espèce de mal.——————————————(1Thessaloniciens 5,21-22)
——L’exhortation se lit également dans l’épître aux Hébreux :
« les adultes par contre, prennent de la nourriture solide, eux qui, par la pratique, ont les sens exercés à discerner ce qui est bon et ce qui est mauvais. »
——————————————————(Hébreux 5,14)

——Ce qui est bon : kalos ; ce qui est mauvais : kakos : juste une lettre de différence en grec entre les deux mots, et les deux lettres sont voisines dans l’alphabet … le discernement n’est pas simple, et vigilance et humilité se tiennent du côté du bon !

Dominique HERNANDEZ


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L'article qui précède est le texte de l'émission
“Un mot de la Bible” sur Fréquence Protestante 100.7 FM
du samedi 1er septembre 2007.

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