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Pardonner

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Un mot de la Bible … le mot pardon ou plutôt pardonner
puisque, comme pour beaucoup de notions dans la Bible, le verbe est plus fréquemment utilisé que le nom.

Dans les passages bibliques évoquant la notion de pardon, des verbes sont même utilisés trois fois plus que les noms !
C'est dire déjà que, pour la Bible, le pardon n'est pas un objet, une chose figée, mais une action, une dynamique.

Un mot de la Bible,
par Patrice Rolin ...

——Avant d'explorer les diverses facettes de la notion de pardon dans la Bible, relevons les usages contemporains de ce mot, et d'abord dans la vie courante :

——«Oh pardon !» c'est ce qu'on dit quand, involontairement, on vient de faire subir un léger préjudice à quelqu'un, le bousculer par exemple. Il s'agit là de reconnaître immédiatement notre responsabilité pour la gène occasionnée, tout en signalant que celle-ci était involontaire ; en signalant aussi sans doute que le mal commis est léger et ne prête pas vraiment à conséquence. Voilà votre interlocuteur presque obligé d'en convenir : «Ce n'est rien, c'est pas grave ...! » vous répond-il alors. Ceci étant, si vous n'avez pas dit “pardon”, on vous considérera comme une personne mal élevée. Dans ce cas, l'absence de demande de pardon entraînera un jugement plus négatif que votre maladresse initiale.

——«Je vous demande pardon» est une expression plus ambivalente : elle peut exprimer une réelle affliction pour la peine plus ou moins importante que l'on a causée ; ou au contraire cette expression peut être une sorte de contre-attaque : «Je vous demande pardon, mais c'est à moi que vous osez parler ainsi ! » ; dans une version moins agressive : «Pardonnez-moi, mais,...».
——S'il ne s'agit pas de la contre-attaque qui vient d'être évoquée, dire à quelqu'un «Je te demande pardon» constitue à la fois la reconnaissance de notre responsabilité (volontaire ou non) et la reconnaissance d'une atteinte grave à la personne à qui l'on s'adresse ainsi. Le fait même que le pardon soit explicitement ‘demandé’ indique que cela ne va pas de soi. Cela indique que nous nous en remettons au bon vouloir de la personne offensée pour en recevoir un pardon qui n'est pas dû d'office.

——L'expression «J'implore votre pardon» franchi encore un cran dans la gravité, et on ne l'entend plus guère employée que de façon théâtrale pour souligner la dimension dramatique de la situation : celui qui implore le pardon sait qu'il ne mérite que la condamnation, et peut-être même la mort, mais dans un appel désespéré, il sollicite la bienveillance imméritée de celui qui a été offensé.

——Jusque-là, nous avons évoqué des expressions signifiant la demande de pardon. Comment le pardon est-il accordé dans notre langue ? On ne dit plus guère « Je te pardonne » l'expression serait ressentie comme hautaine ; on préférera dire «Je ne t'en veux pas». C'est comme si l'on pressentait que pardonner n'est pas une mince affaire, peur-être même quelque chose qui est à la limite ou au-delà de nos capacités humaines.


Un peu d'étymologie ...

D'où vient donc le mot français 'pardon’ ?
Eh bien il vient de 'don’, 'donner’.
Eh oui, le pardon est d'abord un don. Mais c'est un don total, entier, parfait comme l'indique le préfixe par (du latin per). “Par–donner”, c'est donner complètement, c'est “tout donner”. Il semble d'ailleurs que l'origine du mot ‘pardon’, et ses premières attestations latin tardif perdonare, et en vieux français dans le sens que nous lui connaissons, renvoient à l'idée de “faire grâce”, “laisser la vie sauve”, d'où “remettre à quelqu'un la punition de sa faute”.

Cependant, même quand il en va de la vie ou de la mort, le pardon se situe toujours dans une relation, il est toujours demandé à une personne, à quelqu'un qui peut changer le cours logique de la condamnation, de la vengeance ou de la rancoeur.
A l'inverse, quand on a affaire à un phénomène non-humain qui est fatal, on dira : «Ça ne pardonne pas» ... C'est-à-dire que dans ce cas, il n'y a pas de pardon à demander, et de toute façon personne pour accorder ce pardon ; automatiquement la conséquence tombera. Seule une personne peut pardonner, seule une personne peut inverser le cours naturel, logique ou juridique des choses. C'est pour cela que seul un Dieu personnel peut accorder le pardon.

Enfin, pour terminer ce tour d'horizon des usages du mot ‘pardon’ en français, il y faut mentionner les pardons, ces pèlerinages religieux bien connus en Bretagne. Cérémonies dans lesquelles il s'agit précisément, à l'origine, de faire pénitence pour les fautes commises, d'implorer le pardon de Dieu, et d'en célébrer le don. Des cérémonies qui rappellent de très loin la grande fête juive du Yom Kippour.
Le YoM KiPouR. Une expression traduite en français par “Grand Pardon”, mais qui signifie littéralement “jour de l'expiation”. Cette fête majeure du calendrier liturgique juif est célébrée, le dixième jour de l'année ; il s'agit donc de commencer l'année nouvelle en étant déchargé du poids des fautes commises l'année précédente, il s'agit d'être libéré de l'enferment dans une culpabilité mortifère pour s'ouvrir à l'avenir.

Voilà qui nous ramène à la Bible et aux mots qui y sont employés pour signifier l'action de pardonner. Commençons par la Bible hébraïque, l'Ancien Testament des chrétiens :

En hébreu, dans la Bible juive c'est majoritairement le verbe SaLeHa qui est traduit par ‘pardonner’ dans nos Bibles françaises. Ce mot est à rapprocher d'une racine Ugaritique signifiant ‘pardonner’, et d'une racine Akkadienne signifiant ‘asperger’, sans doute en relation avec un ancien rituel de pardon. On retrouve d'ailleurs cette idée d'aspersion dans les rites sacrificielles prescrits dans les livres de l'Exode et du Lévitique.

On trouve aussi le mot NaS'a’ qui signifie littéralement ‘lever’ ou ‘enlever’ c'est-à-dire “lever la condamnation" ou “ne plus tenir compte de la faute”, “faire comme si elle n'avait pas eu lieu”.

En hébreu, un troisième verbe est utilisé : le verbe KaPaR qui signifie littéralement ‘couvrir’. Ici, l'image est différente, il ne s'agit plus d'enlever, mais de couvrir, de recouvrir, de cacher la faute. Attention ! Il ne s'agit pas comme dans l'expression française de “couvrir un acte délictueux” en le tolérant et en le dissimulant frauduleusement. Pour que cette ‘couverture’ de la faute soit réalisée par un rituel, il est nécessaire que cette faute soit explicitement reconnue et formulée. C'est à cette condition seulement qu'elle peut être ‘recouverte’ par Dieu dans sa miséricorde. C'est ce même verbe KaPaR (= couvrir) qui a donné le mot KiPPouR que nous évoquions tout à l'heure.

Ce beau mot hébreu est malheureusement souvent traduit par ‘expiation’ dans nos Bibles. Or, dans le langage français courant ‘expier’ signifie “souffrir pour racheter sa faute” ; mais cela n'a rien à voir avec la notion biblique. Le KiPPouR est un don de Dieu qui en couvrant la faute permet de reconstruire la relation, c'est le sacrifice qui permet à la vie de l'individu et de la communauté de continuer en retrouvant son harmonie. Ainsi, les termes français ‘absolution’ ou ‘pardon’ sont de meilleures traductions, car plus positives de cette notion de Kippour qui est tournée vers la vie. C'est ainsi qu'il est déclaré dans le livre du Lévitique (17,11) :
—————Moi (il s'agit de Dieu),
—————Moi, je vous ai donné le sang sur l'autel,
—————pour l'absolution de votre vie.
—————En effet, le sang procure l'absolution
—————parce qu'il est la vie.

Sans doute, dans notre culture moderne occidentale, l'utilisation du sang de victimes sacrificielles en vue de l'absolution, du pardon, ne nous parle plus beaucoup, mais il est en tout cas clair que le pardon s'inscrit dans une perspective de vie restaurée.

D'autres images sont encore utilisées dans la Bible hébraïque pour exprimer cette riche notion de pardon : celle de la libération, du rachat, de la purification, du nettoyage, de la guérison, etc ... autant de métaphores qui disent à quel point le pardon est un besoin vital des humains que nous sommes.

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En grec, dans le Nouveau Testament, c'est le mot aphièmi qui désigne le plus souvent l'action de pardonner ; littéralement ce verbe signifie ‘enlever’, ‘écarter’, ...
Comme avec l'hébreu NaS'a’, il s'agit de retirer. C'est d'ailleurs le sens d'autres mots grecs qui sont parfois traduits par ‘pardon’ dans le Nouveau Testament :
aphaireô par exemple, qui signifie ‘enlever’, ‘ôter’.
Il s'agit bien de faire place nette, de se débarrasser de quelque chose qui encombre, quelque chose qui empêche de vivre, de vivre libre.
C'est aussi le sens cet autre verbe grec aniémi signifie ‘laisser aller’, ‘lâcher’, ...

Pour finir, parmi de très nombreux textes du Nouveau Testament qui évoquent le pardon, retenons-en trois qui disent chacun quelque chose d'essentiel sur la dynamique du pardon.
Dans chacun de ces textes, c'est le verbe grec aphièmi qui est employé.

Tout d'abord l'histoire du pardon et de la guérison simultanées d'un paralytique, au chapitre 2 de l'évangile de Marc.
————————————(Lire Marc 2,1-12)
De quoi s'agit-il ?
——- Un paralysé est amené devant Jésus.
——- Au lieu de le guérir, Jésus lui déclare :
————«Mon fils, tes péchés sont pardonnés».
——- Aussitôt les spécialistes de la Loi divine s'insurgent :
————«Pourquoi parle-t-il ainsi ?
————Il blasphème !
————Qui peut pardonner les péchés, sinon un seul, Dieu ?
».
——- Alors, pour montrer qu'il a le pouvoir de pardonner,
———Jésus guérit le paralytique.
——- Et l'ex-paralysé, maintenant guérit et pardonné rentre chez lui marchant debout avec sa natte sous le bras !
Je voudrais retenir de cette riche histoire une seule chose :
Pardon et libération sont ici intimement liés.
L'un manifeste l'autre et réciproquement.
——————Qu'est-ce qui paralysait le paralytique,
——————si ce n'est sa culpabilité ?
————————————(Lire Marc 2,1-12)

Second texte, la question de Pierre à Jésus sur les limites du pardon, au chapitre 18 de l'évangile de Matthieu :
——"...Alors Pierre vint demander à Jésus :
———«Seigneur, combien de fois pardonnerai-je à mon frère,
———lorsqu'il péchera contre moi ? Irais-je jusqu'à sept fois ?
»
——Jésus lui répondit dit :
———«Je ne te dis pas jusqu'à sept fois,
———mais jusqu'à soixante-dix fois sept fois. ...
»
——————————————(Matthieu 18,21-22)
——Pauvre Pierre ! Pauvre Pierre qui semble déjà faire un effort surhumain en envisageant 7 offenses successivement pardonnées !
——Et voilà que Jésus lui prescrit de pardonner 539 fois son frère qui l'offensera ! Si, si, j'ai fait le calcul : 7 fois 77 égal 539. Mais bien sûr la réponse de Jésus va encore plus loin puisqu'à l'évidence ce chiffre, ou plutôt cette multiplication signifie ‘indéfiniment’. Le pardon n'est pas affaire de calcul, il est total ou il n'est pas. C'est bien ce que nous pressentions pour commencer (comme Pierre) dans cette étymologie du mot français ‘pardon’, qui signifie littéralement “tout donner”.
——Mais comment cela nous est-il possible ?

Pour répondre à cette question, un troisième et dernier texte nous donne une piste.
C'est la demande bien connue de la prière du Notre Père (Matthieu 6,12) :
———«...Pardonne-nous nos offenses
———comme nous pardonnons
———à ceux qui nous ont offensé.
»

Une phrase que l'on pourrait aussi traduire par
———«...Pardonne-nous nos torts envers toi,
———comme nous-mêmes nous avons pardonné
———à ceux qui avaient des torts envers nous.
» (TOB)

Ou encore :
———«...Remets-nous nos dettes,
———comme nous aussi nous l'avons fait
———pour nos débiteurs.
» (NBS)

——C'est cela le pardon : il n'y a plus rien à payer,
——tu peux vivre libre de la dette, de la culpabilité.


Une dernière remarque pour conclure avec ce verset qui pourrait faire à lui seul l'objet d'un série d'articles :
——Pour pardonner, il faut se savoir pardonné.
———Pour pardonner, il faut donc être deux ...
————et même peut-être trois !

Ou, pour le dire autrement, la source de ce pardon que nous pouvons accorder à l'autre n'est pas en nous-même, mais dans le pardon que nous aurons préalablement reçu. Le pardon reçu comme autorisation de vivre sans avoir à s'en justifier (c'est le sens du rachat dans l'Ancien Testament).
C'est le pardon reçu comme libération du passé pour s'ouvrir à l'avenir.
Voilà la source du pardon sans limite qui libère tout autant celui qui est pardonné que celui qui pardonne.

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——L'enjeu du pardon, vous l'avez compris, est énorme :
Il s'agit ni plus ni moins que d'être libéré à la fois de la rancœur et de la culpabilité.
——Car la culpabilité, à distinguer du sens de la faute et de la responsabilité, la culpabilité donc, comme la rancœur, est bien quelque chose qui ne vous lâche pas facilement, quelque chose qui empêche d'aller de l'avant.

——Par leurs images, les mots de la Bible disent à leur façon que recevoir le pardon, c'est être rendu capable de pardonner, c'est libérer l'avenir, pour l'autre et pour soi.

Patrice ROLIN


—•o0O0o•—

L'article qui précède est le texte de l'émission
“Un mot de la Bible” sur Fréquence Protestante 100.7 FM
du samedi 7 mai 2005.

Pour prolonger cette réflexion sur le pardon,
on pourra suivre l'animation proposée dans la note

Le pardon

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