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La Parole de la Croix

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Paul avait reçu des hellénistes (= les judéo-chrétiens de culture et de langue grecques) une compréhension de la mort de Jésus comme un acte salutaire de la part de Dieu pour le pardon des péchés (1 Corinthiens 15,3), mais avec “la parole de la croix” il va beaucoup plus loin ...

La Parole de la croix

——L'apôtre Paul est le créateur de cette expression originale qu'il n'utilise qu'une fois en 1 Corinthiens 1,18, mais dont la substance sert de fondement à toute sa théologie. En effet, pour lui, la parole de la croix ne désigne pas un élément du message chrétien parmi d'autres, à côté de l'incarnation ou de la résurrection par exemple. Pour Paul, la résurrection est indissociable de la croix, qu'elle pointe comme lieu de salut.
La parole de la croix est donc le centre et le tout de l'Evangile (voir 1 Corinthiens 2,2 et Galates 3,1 ; 5,11 ; 6,12.14 ; Philippiens 2,8 ...).
——Que signifie donc cette expression ?

Tout d'abord, la parole de la croix est parole. C'est-à-dire qu'elle agit en tant que message, et non comme un acte de salut efficace en lui-même (comme c'est par exemple le cas dans les interprétations sacrificielles).

Ensuite, comme Paul le développe en 1 Corinthiens 1,18-25 (et dans tout 1 Corinthiens 1—4 et ailleurs), la parole de la croix, et donc l'Evangile, est paradoxale par nature et par nécessité : seul le scandale de la faiblesse et le non-sens de la folie de Dieu peuvent ébranler les remparts que “les juifs et les grecs” ont dressés. Il est bien entendu qu'ici “juifs et grecs” ne désigne pas deux ethnies particulières mais deux attitudes fondamentales de l'homme : la quête de (toute-)puissance et de l'omniscience (= tout comprendre), bref, la maîtrise de tout, être “comme des dieux” (Genèse 3,5).

Dans cette perspective, la parole de la croix renverse les sécurités religieuses (et autres) que se construisent les hommes pour échapper, ou pour oublier leur condition de créature mortelle. Les autres axes de la théologie de Paul découlent directement de la parole de la croix :
——• le remplacement de la justification par la Loi,
——par le salut par la grâce seule coupe court
——à toute tentative d'autojustification par quelque moyen
——que ce soit (Galates 2,16-21 ; 3,6-14) ;
——• et pour l'universalisme paulinien,
——l'individu reçoit son identité et sa dignité de Dieu
——inconditionnellement, et non de par sa naissance, sa race,
——son sexe, son statut social, sa compétence, sa performance
——ou toute autre détermination humaine (1 Corinthiens 15,10 ;
——Galates 3,28 ; Philippiens 2,5-11).

Cette interprétation de la mort de Jésus est radicalement nouvelle et donne toute sa force à la pensée de l'apôtre.
Elle est différente des interprétations traditionnelles que Paul connaît, cite, ou utilise à l'occasion, mais qui reprennent des compréhensions anciennes.
——• En effet, comprendre la mort de Jésus comme la mort d'un prophète, d'un juste persécuté, ou comme un sacrifice (même parfait et définitif ; Hébreux 9—10) ne fait qu'adapter à la croix des conceptions existantes.
——• Au contraire, la parole de la croix fonctionne elle-même comme une force de transformation du regard porté sur la réalité (2 Corinthiens 5,17 ; Galates 3,13 ; 5,11 ; …).
——• D'interprètée qu'elle était, la croix devient “interprétante”, c'est-à-dire qu'elle devient la grille de lecture critique, et potentiellement libératrice, du monde et de la vie de chacun.

——Il n'est donc pas surprenant que du temps de Paul, et jusqu'à présent, on se soit méfié de l'audace de l'apôtre, allant jusqu'à infléchir sa pensée dans les épîtres pastorales, ou en assurant l'hégémonie des compréhensions sacrificielles de la mort de Jésus. Et pourtant, après presque 2000 ans, l'interprétation de l'apôtre est toujours étonnamment moderne.

Patrice ROLIN

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