Que signifie le mot : “amen” ?
Le dictionnaire nous apprend que “amen” est une interjection, c'est-à-dire un “mot invariable pouvant être employé isolément pour traduire une attitude affective du sujet parlant”. Autrement dit, “amen” serait comparable à “Aïe !” ou “Zut !”. Mais si “Aïe” exprime la douleur, si “Zut” exprime le désappointement ou le refus de la relation, que signifie “amen” ?
Un mot de la Bible,
par Jean-Pierre Sternberger ...
Amen, en français, marque la fin d'une prière. Il signifie : “c'est fini !” et parfois “c'est enfin fini !” . Le dictionnaire n'en fait pas mystère qui définit aussi “amen” comme le mot par lequel se terminent les prières en latin, qui signifie “ainsi soit-il”. Or “amen” ne se dit pas seulement à la fin d'une prière en latin. On dit “Amen” à la fin d'une prière prononcée en hébreu, en grec, en français, en lingala ou en serbo-croate ...
Car dire “amen”, c'est aussi s'associer à la prière de l'autre, à sa démarche, à sa peine, à son souci, à sa joie, à sa requête, et parfois même sans savoir le pourquoi et le comment de ces sentiments. Si “amen” est une interjection, c'est une interjection tout à fait particulière qui traduit moins l'attitude affective du sujet parlant que son adhésion ou sa sympathie envers l'expression d'un autre sujet parlant. Quand l'autre dit sa douleur ou sa joie, je peux m'associer à lui et dire “amen”. Il sait alors que je l'ai entendu.
C'est peut-être pour cela que, comme l'écrit aussi le dictionnaire, “amen” peut signifier à la fois “vrai, certain” et “ainsi soit-il !. Comment en effet prétendre d'une chose qu'elle est vraie et vouloir qu'elle soit ? Dire “Amen” à la fin de sa propre prière c'est comme signer et authentifier une parole : ce qui a été dit est vrai. Mais c'est aussi souhaiter que cela soit, c'est dire “je crois” et “j'espère” , “je crois que c'est vrai” et “je souhaite que cela soit” .
Mais si le mot “amen” a non seulement un ou plusieurs sens ici et aujourd'hui, c'est qu'il a une histoire qui s'enracine dans la Bible. Amen est un mot de la Bible. C'est donc dans la Bible que nous allons chercher d'en découvrir le sens.
Une réponse ferme et solide !
A l'origine du mot ’aMeN, une famille de termes sémitiques que l'on trouve aussi bien en phénicien qu'en arabe, en tigréen éthiopien qu'en araméen syriaque. En hébreu le verbe ’aMaN signifie “être ferme, être solide, avoir une assise, durer, rester” et donc “faire confiance en ce qui est solide, croire”. Les mots dérivés de ce verbe vont de ’éMOuNaH, “la foi” à ’èMèT, “la vérité, mais aussi ’aMaNaH, “la confiance” et encore ’oMNaH, “vraiment”. Et enfin ’aMeN.
Dans la Bible Hébraïque, l'usage du mot ’aMeN est assez différent de celui que nous connaissons. ’aMeN qui n'apparaît que rarement dans un contexte de prière constitue le plus souvent la réponse à une question :
Dans la Torah, le mot apparaît en Nombres 5,22 dans un rituel concernant les épouses soupçonnées d'adultère analogue au jugement de Dieu pratiqué au Moyen-Age ! La femme soupçonnée doit boire une potion assez rebutante pendant que le prêtre prononce une malédiction. Par deux fois la femme répond ’aMeN. Puis, si la femme est coupable, elle tombe malade alors que l'innocente sort indemne de l'épreuve.
(Ordalie par le feu, Dirk Boots l'Ancien)
La traduction grecque des Septante(1) traduit l'hébreu ’aMeN par le verbe genoito: “que cela soit” qui laisserait entendre que la femme accepte voir souhaite que se réalise la contenu de la malédiction. Mais peut-on exiger d'une femme présumée innocente qu'elle exprime le souhait de se voir rendue stérile, puisque tel est le contenu de la malédiction. Le sens de "amen" lié à la notion de foi et d'assurance est plus complexe. La réponse de la femme signifie que, comptant sur l'intervention de Dieu, elle accepte de subir cette épreuve en vue de sa réhabilitation au sein de la communauté. ’aMeN signifie donc ici non pas “ainsi soit il” mais plutôt “je crois et donc je cours le risque”. Pour reprendre l'idée de fermeté, la femme déclare publiquement s'appuyer sur Dieu pour traverser l'épreuve que lui impose son époux soupçonneux.
Cette scène de “jugement de Dieu” (ordalie) renvoie à un autre rituel de la Bible celui qui vient sceller l'alliance entre YHWH et son peuple.
Lisons un extrait de Deutéronome 27 :
“...Devant tous les gens d'Israël,
les lévites diront d'une voix forte :
——«Maudit soit l'homme qui fait une statue ou une idole de métal fondu et qui la place dans un lieu secret ! C'est une abomination pour YHWH, l'oeuvre des mains d'un artisan»
Et tout le peuple répondra : «Amen !»
——«Maudit soit celui qui méprise son père et sa mère !»
Et tout le peuple dira : «Amen !»
——«Maudit soit celui qui déplace la borne de son prochain !»
Et tout le peuple dira : «Amen !»
——«Maudit soit celui qui fait errer un aveugle
——sur son chemin !»
Et tout le peuple dira : «Amen !»
——«Maudit soit celui qui porte atteinte au droit
——de l'immigré, de l'orphelin et de la veuve !»
Et tout le peuple dira : «Amen !» ...”
Ici encore, il est difficile de traduire par une phrase ou par un mot cet “amen” prononcé par le peuple. “Amen” exprime l'adhésion à la loi qui vient d'être lue sous forme de malédictions. Malgré la traduction de la Septante analogue à celle de Nombres 5,22, on pourrait entendre : “nous sommes d'accord”, “nous adhérons à ce qui vient d'être dit”. Le peuple considère la loi comme quelque chose de solide, le fondement de la société qu'ils vont construire ensemble, eux les hébreux sur le point d'entrer dans la terre que Dieu donne. Cet “amen” sonne comme le “I will” que les époux anglo saxons échangent le jour de leur mariage. Ce n'est pas seulement “qu'il en soit ainsi”, “let it be”, ou “j'accepte” mais “I will”, “je veux”. L'assemblée affirme solennellement son adhésion au projet religieux et politique de former un peuple qui se conforme à la Loi. C'est là le sens fondamental du mot “amen” dans le Premier Testament, et ce sens est loin d'avoir été perdu dans le Nouveau Testament.
Un texte de Jérémie 11,1-5 relève du même courant théologique que Deutéronome 27. Dieu parle au prophète et lui rappelle la promesse faite jadis au désert. Jérémie le prophète reprend alors ce qui en Deutéronome 27 devait être la réponse du peuple :
——“... je répondis et je dis «Amen YHWH».”
C'est donc en lien avec le thème de l'alliance que nous pouvons saisir ce qui est le premier et le plus fréquent des usages du mot “amen” dans la bible hébraïque. A côté des livres du Deutéronome et de Jérémie, cet usage réapparaît dans les récits du dépôt de l'arche par David à Jérusalem (1 Chroniques 16, 36) ou au moment du retour de l'exil (Néhémie 5,13 ; 8,6). “Amen” appartient au vocabulaire de l'alliance. C'est dans le contexte de l'alliance entre Dieu et son peuple qu'il prend tout son sens qui est moins celui, passif, d'un “ainsi soit-il” que le sens actif d'un “I will”, “je m'engage”.
Alliance politique ou conjugale
Deux textes illustrent encore le lien entre la prononciation du “amen” et l'engagement dans l'alliance.
Le premier est un récit résolument politique : 1 Rois 1, 36. Le vieux roi David désigne son fils Salomon comme celui qui lui succédera sur le trône. C'est un moment critique et particulièrement délicat de la vie politique de Jérusalem puisqu'il en va de la succession du roi, de l'unité du Royaume et du renouvellement de l'alliance entre le YHWH, le roi et le peuple. Témoin de cette scène, le serviteur du roi qui s'appelle Yoyada, répond à David qui vient de désigner Salomon :
——«“... Amen !
——Que YHWH, Dieu de mon seigneur le roi parle ainsi...»
L'alliance se décline entre trois partenaires : le roi, son Dieu et le peuple. Le roi a choisi Salomon. En disant “amen”, le peuple représenté par Yoyada s'engage à respecter la volonté du roi. Mais il prie aussi pour que YHWH, dieu de l'alliance avec David, se prononce également en faveur du fils que David a nommé (voir aussi Jérémie 28,6).
Le deuxième exemple est tiré du livre dit “deutérocanonique” de Tobit. Il s'agit de nouveau d'un mariage, l'alliance entre Tobit et Sarah, mais aussi entre leur deux familles sous le regard de Dieu. Au soir des noces les deux époux adressent ensemble à Dieu une longue prière qui se termine ainsi :
——«... Ordonne qu'il nous soit fait miséricorde,
——à elle et à moi,
——et que nous parvenions ensemble à la vieillesse."
——Puis ils dirent d'une seule voix : “Amen, amen !”,
——et ils se couchèrent pour la nuit.»
——————————————————(Tobit 8,8-9)——(Nuit de noce de Sarah et Tobit, ——————Eustache Le Sueur 17ème s.)
Amen ! Amen ! sont donc les derniers mots que prononcent ces époux au soir de leur mariage. Ce sont aussi les mots que prononce la femme soupçonnée d'adultère selon Nombres 5.
——Ce texte de Tobit relève incontestablement de la thématique de l'alliance. Il pourrait toutefois figurer parmi les textes que je voudrais aborder maintenant et qui forment un ensemble relativement distinct dans la mesure où rien ne nous est dit de la ou des personnes qui prononcent le “amen”. Car, point commun entre ces textes et la prière des époux de Tobit 8, tous les “amen” que nous allons voir maintenant sont comme des marqueurs de la fin d'un corpus.
C'est sans doute avec cette connotation de Dieu de l'alliance qu'il faut entendre un texte du prophète Esaïe (65, 16) qui annonce que dans les temps à venir, les croyants se béniront et prêterons serment par “le Dieu de l'Amen”. Pour ma part j'y vois avec le commentateur RaShi l'idée que Dieu est un Dieu de vérité sur lequel on peut s'appuyer pour bénir et prêter serment.
La prière des éditeurs
Il s'agit d'un usage vraisemblablement extrêmement tardif et secondaire.
A quatre reprises dans le psautier, on lit une formule de bénédiction ponctuée par “amen” .
La première se trouve à la fin du Psaume 41 :
——“... Béni soit YHWH, le Dieu d'Israël,
——depuis toujours et pour toujours !
——Amen ! Amen !”
La deuxième à la fin du psaume 72
——“... Béni soit pour toujours son nom glorieux !
——Que toute la terre soit remplie de sa gloire !
——Amen ! Amen !”
La troisième à la fin du psaume 89
——“... Béni soit pour toujours YHWH !
——Amen ! Amen !”
Et la dernière à la fin du psaume 106
——“... Béni soit YHWH, le Dieu d'Israël,
——depuis toujours et pour toujours !
——Amen ! Amen !”
Non seulement, chacun de ces versets termine le psaume auquel il est rattaché, mais il clôture un livre entier de psaumes. Rappelons en effet que le recueil des 150 psaumes est structuré en cinq livres, sans doute en référence aux cinq livres de la Torah. A la fin de chacun des quatre premiers livres des psaumes on trouve donc un “amen”. La fin du cinquième livre qui correspond à la fin de l'ensemble de la collection est marquée par un “alléluia”.
C'est certainement là un usage de scribe, le fait d'un éditeur plus que d'un rédacteur. Il s'agit ici en effet de structurer un ensemble, de ponctuer, de marquer une fin, de signaler l'endroit où s'achève un des livres du recueil.
Ces versets ont été insérés tardivement dans la collection, au moment de son édition. Or cet usage n'est pas propre aux psaumes mais se retrouve dans au moins deux autres livres plus tardifs et qui n'appartiennent à aucune bible juive ou chrétienne : le 3ème et le 4ème livre des Maccabées(2).
Lisons la fin de 3 Maccabées (en 7, 23) :
——“... Béni soit le libérateur d'Israël
——dans tous les âges ! Amen !”
et la fin de 4 Maccabées (en 18, 23-24) :
——“... Les enfants d'Abraham
——ainsi que leur victorieuse mère
——seront réunis dans le chœur des pères.
——Ils ont reçu de Dieu des âmes pures et immortelles.
——A Lui soit la gloire pour toujours. Amen !”
En résumé, les usages anciens du mot “amen” ? dans la Bible hébraïque relèvent de la thématique de l'alliance. ’aMeN” signifie l'adhésion du peuple ou (plus rarement) d'une personne à l'alliance proposée par Dieu. Dans des textes plus récents, et sans que le premier sens ne soit oublié, ce mot “amen” va apparaître sous le calame de certains scribes presque comme une dédicace, une manière de rendre gloire à Dieu avant de mettre un point final à leur œuvre. Nous distinguerons donc un usage liturgique oral et communautaire et un usage éditorial écrit et individuel du mot.
Ces usages vont-ils se conserver dans le Nouveau Testament ? C'est ce que vous pouvez découvrir en cliquant ici.
Jean-Pierre STERNBERGER
Notes :
(1) A partir du 3ème siècle av. J.C. l'expansion de la langue grecque rendit nécessaire la traduction de la Bible Hébraïque en grec pour des juifs de la diaspora qui pratiquaient plus facilement le grec que l'hébreu. C'est cette traduction que l'on nomme aussi la Bible Grecque ou encore la Septante.
(2) Les troisième et quatrième livres des Maccabées, sont des livres apocryphes écrits en grec probablement au 1er siècle ap. J.C. Ces ouvrages, sont présents dans certaines éditions anciennes de la traduction des Septante. 3 Maccabées et 4 Maccabées sont des panégyriques des martyrs puisant leurs matériaux dans le second livre des Maccabées (un livre deutérocanonique).
L'article qui précède est le texte de l'émission
“Un mot de la Bible” sur Fréquence Protestante 100.7 FM
du samedi 8 mars 2008.
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