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DIABOLOS, le Diable, l'accusateur

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(La tentation du Christ [détail], Juan de Flandres 1460-1519)

Diabolos est un mot grec que chacun peut comprendre, puisqu'il a donné le mot diable. Si aujourd’hui ce mot est moins lié à la crainte, ses dérivés la désigne encore fortement. Ainsi parle-t-on régulièrement d'attentats “diaboliques”.

Un mot de la Bible,
par Guy Balestier-Stengel ...

Il y a dans ce mot quelque chose en lien avec le mal, la fausseté, l’hypocrisie. En même temps, certaines expressions ridiculise le personnage : on parle ainsi de “diablotin”, de “bon petit diable”, de “pauvre diable” pour quelqu’un qui inspire la pitié.
Alors qu’en est-il du Diable qui facine tant que de nombreux groupes satanistes l’encensent, et qu'on peut trouver sur Internet, 9 800 000 sites qui en parlent !

D’où vient ce mot diabolos ? Il vient d’un verbe diaballô qui est composé de deux éléments : la particule dia qui signifie ‘entre’, ‘à travers’ comme dans diamètre “qui mesure à travers” ; et le verbe ballô qui signifie ‘jeter’, ‘lancer’ ; en somme diaballô signifie “jeter entre”, “lancer à travers” et donc ‘séparer’, ‘désunir’ et donc ‘attaquer’, ‘accuser’, ‘calomnier, ‘mentir’...

Dans le monde grec, ce terme était un adjectif courant sans plus grande portée que les sens qu’il désignait, et qui pouvaient s'appliquer à tout un chacun. Ce qui inspirait la haine ou l’envie était diabolos, comme l’étaient les paroles de dénigrement, de médisance et de calomnie. Ainsi celui qui était porteur de ces paroles était diabolos, diable. Ce n’est que dans les écrits religieux chrétiens que cet adjectif substantivé, quand il désigne quelqu’un, va personnifier un être rassemblant en lui tout ce qui est mauvais.

Le passage du sens général, dans le monde grec, à celui plus particulier dans le monde chrétien, est vraisemblablement dû à son enracinement dans le judaïsme et à la présence d'un tel personnage dans le Premier Testament.
Bien sûr, le mot grec ne se trouve pas dans le texte hébreux, mais on y trouve le verbe ShaTaN. Beaucoup de mots hébreux ont une origine akkadienne, une langue sémitique utilisant l’écriture cunéiforme, une des premières écritures dérivant du sumérien, et que l’on parlait dans la grande ville d’Akkad en Mésopotamie, l’actuel Irak. En akkadien, le terme shatanu signifiait ‘combattre’, ‘attaquer’ et cela a donné en hébreu ‘attaquer’, ‘harceler’, ‘accuser’ : nous en retrouvons une trace dans la Bible Hébraïque avec l’utilisation de ce verbe en Nombres 22,22 et 32 où le prophète Balaam, est invité par Balaq (le chef des Moabites) à venir maudire Israël. Dieu se fâche alors et envoie, nous dit le texte, un ange muni d’une épée nue, c’est-à-dire dégainée, pour lui barrer la route. Et c’est ici le terme ‘barrer’ qui traduit le verbe ShaTaN) ; Dieu à travers son ange va attaquer, harcelerBalaam.

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Ce verbe a donné naissance au nom commun accusateur, adversaire, et finalement au personnage de Satan (shaytan dans le Coran).

Contrairement à ce que nous pourrions penser, le personnage de Satan ou du Diable est beaucoup plus présent dans le Nouveau Testament que dans l’Ancien Testament. La raison en est que cette figure du mal personnifié n'apparaît que tardivement dans le judaïsme. Comme nous l’avons vu avec l’utilisation du verbe ShaTaN (barrer) dont l’ange de Dieu est le sujet, dans une grande partie de l’Ancien Testament, Dieu est aussi bien l’auteur du mal que du bien. Bien sûr, le mal n’est alors pas gratuit comme cela le deviendra par la suite avec la personnification de Satan ; le mal est souvent présenté comme une punition ou la mise en évidence que Dieu ne soutient plus tel homme ou tel comportement : un des exemples les plus nets se trouve en 1 Samuel 18,6-12 :

“ ...A leur arrivée, quand David revint après avoir battu le Philistin, … les femmes, s'ébattaient, chantaient en chœur : «Saül en a battu des milliers, et David des myriades.»
Saül fut très irrité. Le mot lui déplut. Il dit :
« On attribue les myriades à David, et à moi les milliers. Il ne lui manque plus que la royauté !»
Et Saül regarda David de travers à partir de ce jour-là.
Le lendemain, un esprit mauvais, venu de Dieu, fondit sur Saül, et il entra en transe dans sa maison.
David jouait de son instrument comme les autres jours et Saül avait sa lance en main.
Saül jeta la lance et dit :
«Je vais clouer David au mur !»
Mais David, par deux fois, l'évita.
Saül craignit David, car le SEIGNEUR était avec lui et s'était retiré de Saül.

Dans ce récit, Dieu est en même temps à l’origine de l’esprit mauvais qui envahit Saül, mais aussi avec David pour lui permettre d’éviter la lance de Saül qui devait le clouer au mur. Ce n’est que plus tard, en particulier à l'époque de l'exil à Babylone, au moment où les croyants seront désemparés de voir des fidèles de Dieu, honnêtes et bons, être assaillis de malheurs qu’ils ne pourront plus attribuer à Dieu de telles actions. La figure de Satan prendra alors son indépendance (lire Job 1,1—2,10).

A l'époque où Jésus naît en Palestine, Satan fait donc partie de la culture dans laquelle il grandit, et la traduction grecque de la Bible Hébraïque, la Septante(1), traduit presque toujours les quelques mentions de ShaTaN par le grec Diabolos.

Dans la littérature juive inter-testamentaire (c'est-à-dire les écrits juifs produits durant les trois siècles qui précèdent notre ère, et qui se situent "entre" l’Ancien Testament et le Nouveau Testament), ce personnage prend de l’ampleur et d’autres noms apparaissent pour le désigner : Bélial ou Béliar, Mastéma, et les esprits mauvais, émanations de Satan.
C’est la raison pour laquelle nous trouvons dans le Nouveau Testament les termes Satan, Diabolos, et Béliar (une fois en 2 Corinthiens 6,15). Dans le Nouveau Testament, ce personnage du diable, quel qu’en soit le nom, apparaît dans de nombreux livres représentant tous les corpus : dans les quatre évangiles, dans les Actes des apôtres, dans de nombreuses lettres de Paul et de ses disciples, dans les épîtres catholiques et dans l’Apocalypse).

Le diable est, dans le Nouveau Testament, un adversaire, un personnage extérieur à l’être humain, prêt à le tenter, à le faire tomber, à lui faire commettre toute sorte de choses mauvaises. En général, il n’agit pas lui-même mais au travers de ses anges, de ses démons, au travers d'esprits impurs. Il est quelque fois mentionné comme celui qui est à l’origine des actes mauvais, contraire à la volonté de Dieu. Il est fourbe car son but est de tromper, d’égarer ainsi Paul écrit qu’il “se camoufle en ange de lumière” (2 Corinthiens 11,14). C’est là l'une des raisons pour laquelle il a été assimilé à Lucifer, un Dieu latin, qui était littéralement le “porteur de lumière”, l'esprit de l'air, et qui personnifiait la connaissance. Mais ce n'est qu'à partir du Haut Moyen Age que ce nom de Lucifer a été employé pour désigner Satan.
Dans la Vulgate (l'une des premières traductions de la Bible en latin, réalisée par St Jérôme), il est désigné par la transcription du mot hébreu HeYLeL comme “Astre du matin” (la planète Vénus). Dans certaines traditions, on raconte que Lucifer était à l'origine le plus beau des anges, chef de la milice céleste. Mais par orgueil et avidité du pouvoir, il a voulu devenir l'égal de Dieu et s'est révolté contre lui. Il fut alors chassé du ciel et envoyé en enfer, il est ainsi devenu Satan, le chef des démons.

Dans les évangiles, le diable, Satan agit de lui-même, il est en effet directement confronté à un personnage de son niveau : Jésus le Christ (lire ce récit en Matthieu 4,1-11).

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Dans l’épisode de la tentation, le Diable semble certes avoir beaucoup de pouvoir, mais pas celui de dominer un fidèle de Dieu. A plusieurs reprises, nous pouvons nous demander dans quelle mesure, du point de vue de ce récit, le Diable n’est pas un instrument de Dieu. Déjà, en introduction au récit de la tentation, Jésus est poussé par l’Esprit au désert pour y être tenté : l’initiateur de cette tentation semble donc bien être Dieu lui-même. Dans sa version, Luc ajoute d'ailleurs que le Diable “s’écarta alors de lui jusqu’au moment fixé” (Luc 4,13), c'est-à-dire jusqu'au début de la Passion, à la fin de l’évangile.

De même chez Jean, c’est au moment où Jésus lui donne une bouchée de pain que, nous dit le récit, “Satan entre en Judas” (Jean 13,27) : c’est comme si Jésus avait donné le top de départ car le récit avait mentionné auparavant que “déjà le diable avait jeté au cœur de Judas … la pensée de le livrer” (Jean 13,2). Dans ce motif de la trahison de Judas, le récit met en scène un Satan qui peut entrer dans un être humain pour le faire agir selon son bon vouloir.

Dans l'évangile de Marc (8,31-33), quand Jésus annonce sa mort pour la première fois, Pierre refuse cette perspective réprimandant/menaçant/rabrouant même Jésus ; ici le récit emploie un verbe fort ’menacer’, un verbe utilisé d'habitude dans le cadre d'exorcismes, comme si Jésus était possédé. En réponse, Jésus réprimande/menace/rabroue à son tour Pierre en lui disant :“Arrière de moi, Satan !”.
Cette épisode indique au lecteur que personne n’est à l’abri de l’influence de Satan puisque Pierre lui-même, l'un des grands apôtres, succombe à la fourberie du diable qui passe par des pensées humaines pour s'opposer à celles de Dieu.

Dans sa seconde lettre aux Corinthiens, Paul évoque une souffrance “dans sa chair” (sans doute une maladie). Ici, Satan, et son ange, apparaissent comme des moyens utilisés par Dieu dans un but positif ! Paul écrit en effet :

... parce que ces révélations [qu'il a reçues] étaient extraordinaires, pour m’éviter tout orgueil, il a été mis une écharde dans ma chair, un ange de Satan chargé de me frapper, pour m’éviter tout orgueil. A ce sujet, par trois fois, j’ai prié le Seigneur de l’écarter de moi. Mais il m’a déclaré :
« Ma grâce te suffit ; ma puissance donne toute sa mesure dans la faiblesse. »
” (2 Corinthiens 12,7-9)

A travers toutes ces mentions, nous retrouvons le statut du Satan tel qu’on l'avait rencontré dans l’Ancien Testament : l’instrumentalisation du diable par Dieu ; et dans le dernier exemple, elle est même plutôt positive.

Dans un passage de l’évangile (Marc 3,22), Jésus est accusé d’être possédé par Beelzebul. Ses opposants affirment que s'il chasse les démons, c'est par le pouvoir du Prince des démons. Belzébuth ou Belzébul (de l'hébreu Bee”L, seigneur, littéralement “seigneur des mouches”) ; Baal-Zéboub était une divinité cananéenne puissante et maléfique, dieu du monde infernal. Il est transformé dans ce passage du Nouveau Testament en “prince des démons”, en “lieutenant de Satan”.
Le danger pointé ici est la démonisation ou la diabolisation de ses adversaires simplement parce que l'on est pas d'accord avec eux. Dans cette histoire Jésus guérit, libère, mais son action est dévalorisée, connotée négativement comme venant du Prince des démons. Le fait de dire qu’une bonne action est mauvaise et vient du diable, amène ainsi la confusion, le chaos et c'est peut-être cela qui est dénoncé à la fin du récit comme “péché contre l’esprit”.

Cette tentative de diabolisation de l’ennemi a aussi été aussi mise en œuvre par des chrétiens dès le Nouveau Testament. C’est ainsi que l’on trouve plusieurs fois dans l’Apocalypse l’expression “synagogues de Satan” qui semble réagir à des pratiques malveillantes à l'encontre des chrétiens, dénonçant peut-être ces derniers aux autorités romaines.

Dès les premiers siècles du christianisme, le Diable a été affublé de nombreux attributs : chef du séjour des morts, maître de l’enfer, le feu et la souffrance l'accompagnent, son visage celui de la mort ...
Dans une vignette d'une Bible latine du 9ème/10ème siècle, il est dessiné, aux côtés de Job, nimbé d’une auréole, ailé, avec des ongles crochus aux pieds.
Sur le diptyque d'ivoire qui recouvre l'Évangéliaire de Charles le Chauve, son front est hérissé de cornes ; sous son bras une espèce de houlette, en guise de sceptre ; d'une main il dirige un serpent qui s'enroule autour de son corps, de l'autre il tient un vase d'où s'échappe un poison noir.

Les sculpteurs du 11ème et du 12ème siècle lui donnent les formes les plus hideuses et les plus étranges, un corps humain grêle, décharné, plus ou moins difforme, une chevelure ébouriffée, une bouche énorme, des mains et des pieds volumineux, des ailes, quelquefois une queue terminée par une tête de serpent ; ou bien ils le représentent sous la forme d'un animal fantastique, sirène, dragon, serpent, crapaud, basilic (oiseau à queue de serpent), singe, centaure, satyre, loup à queue de serpent, chien à tête d'homme.

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Toutes ces représentations sous forme de créatures chimériques, hybrides, polymorphes positionnent le diable comme l'adversaire du Dieu créateur qui forma chaque créature "selon son espèce", ordonnant ainsi le chaos initial. L’apparition d'un tel diable engendre la terreur, comme celle face au diabolique loup garou, ces êtres qui peuvent se transformer en loups, la nuit. Un motif qui a dû motiver l'appellation du diable de Tasmanie, un petit marsupial carnivore et charognard de couleur noire qui ressemble à un petit ours avec de petites oreilles qui rougissent quand il est excité : tout pour faire un diable !

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Mais le diable n'est pas toujours représenté sous ses aspects les plus effrayants. Ainsi, sur le portail central de Notre-Dame de Paris, où les scènes infernales du jugement dernier sont représentées avec énergie et d'une façon saisissante, on voit, parmi les voussures, un diable couronné, gras, lippu, pourvu de mamelles gonflées avec un serpent pour ceinture.
Cette représentation gras, lippu avec des allures de Bacchus, dieu du vin, et de ses bacchanales vient du fait qu’on lie aussi le diable au plaisir ou la luxure (avec toutes les expressions qui s’en suivent comme avoir le diable au corps). Ce qui va avec le plaisir, c’est aussi la beauté ; la beauté de la femme séductrice, tentatrice, avec ses charmes, sous le masque de la beauté, par laquelle le diable attire ainsi dans la perversion.

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Même la recherche du bonheur n’est pas à l’abri de la diabolisation, ainsi, Gustave Flaubert écrira à Louise Colet :
Le bonheur est un mythe inventé par le diable pour nous désespérer”.

Revenons pour finir au Nouveau Testament. Dans l’évangile de Luc, en entendant les disciples lui rapporter les guérisons, et les exorcismes qu'ils avaient fait en son nom, Jésus dit :

« ...Je voyais Satan tombé du ciel comme l’éclair.
Voici je vous ai donné le pouvoir de fouler aux pieds serpents et scorpions, et toute la puissance de l’ennemie, et rien ne pourra vous nuire
. » —————————————————(Luc 10,18)

Autrement dit, l'assurance est donnée aux croyants que, dans la foi, ils peuvent être vainqueur de Satan. C'est cette même espérance que le dernier livre de la Bible, l'Apocalypse proclame en affirmant que le mal et Satan ont été vaincus définitivement par le Christ sauveur.

Un message certes rassurant, mais qui peut cacher le danger de croire que le combat est terminer, le danger d'oublier le diable présent à l’intérieur de soi-même.
———La plus belle ruse du diable ne serait-elle pas
——————de nous faire croire qu'il n'existe pas ?

Guy BALESTIER-STENGEL

Note :
(1) A partir du 3ème siècle av. J.C. l'expansion de la langue grecque rendit nécessaire la traduction de la Bible Hébraïque en grec pour des juifs de la diaspora qui pratiquaient plus facilement le grec que l'hébreu.
C'est cette traduction que l'on nomme aussi la Bible Grecque ou encore la Septante.

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L'article qui précède est le texte de l'émission
“Un mot de la Bible” sur Fréquence Protestante 100.7 FM
du samedi 23 juillet 2005.


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En lien avec cette note lire le livre
Les stratégies du diable par François Vouga

—oOOOo— 

Un ouvrage collectif grand public reprennant le mot traité dans cette note, et une vingtaine d'autres mots "passés" du grec dans la langue française est disponible au éditions Passiflores : 

Des mots de la Bible. Le grec que vous parlez sans le savoir.

logos,parole,discours,logique,principe

(chaque mot fait l'objet d'une enluminure par Marie-Hellen Geoffroy)

Editions Passiflores, octobre 2010 (143 pages ; 17 €uros)

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