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ELEUTHERIA, liberté

“Liberté”, voilà un mot merveilleux, un mot qui fait rêver,
un mot auquel on a envie de mettre une majuscule. “Liberté !”.
——“Une perle rare”, comme la chante Georges Moustaki ...

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Et puis, il y a cet émouvant poème de Paul Eluard :
———————"Liberté .../... J'écris ton nom ...
————————Et par le pouvoir d'un mot
—————————Je recommence ma vie
——————————Je suis né pour te connaître
———————————Pour te nommer
—————————————————Liberté.

Un mot de la Bible,
par Patrice Rolin ...

La liberté est donc ce bien aussi précieux et fragile que la vie.
Un bien ? Mais est-ce un bien ou un horizon ? ...
En tout cas quelque chose qui peut conduire à donner sa vie.
——Cela c'est la liberté idéale, la liberté exigeante.

Et puis, il y a les déviances ou les affadissements de la liberté. Quand au lieu d'épanouir et d'affranchir, ce beau vocable est utilisé comme justification de l'exploitation, de la chosification d'autrui –et en particulier du plus faible–, ... en économie, on appelle cela le “libéralisme” ...
Quand la liberté de l'individu dégage du souci d'autrui ...

Ou encore quand, comprise comme un absolu, la liberté s'impose au point d'empêcher son exercice même : Combien de personnes connaissons-nous (nous-mêmes parfois ?) qui hésitent à faire des choix au prétexte qu'ayant choisi une voie plutôt qu'une autre, leur liberté s'en trouverait alors réduite ?
C'est sans doute là qu'il convient de rappeler la fameuse devise selon laquelle :
———————La liberté ne s'use que si on ne s'en sert pas !

Enfin, il y a tous ceux qui pensent que les religions sont par nature ennemies de la liberté. Et il faut malheureusement convenir que cela fut, et est encore, très souvent le cas.


Qu'en est-il donc de la liberté dans la Bible ?
——La Bible justifie-t-elle ce qu'on lui fait dire ?


• En Hébreu, dans la langue du Premier Testament, le vocabulaire conceptuel de la liberté est assez peu représenté,
il n'y a d'ailleurs pas vraiment de substantif pour exprimer cette notion.
La racine verbale hébraïque pour dire l'idée de liberté est HaPhaSh, mais ce verbe n'est utilisé qu'une fois, dans le livre du Lévitique (19,20) pour parler d'un cas de non-affranchissement d'une servante.
Dans 16 autres passages, c'est l'adjectif HoPhShY qui exprime l'absence de contrainte, comme en Job (39,5) avec cette question rhétorique de Dieu :
———————Qui a mit en liberté l'âne sauvage ...?
Mais il faut bien dire que la liberté comme concept ou simplement dans un sens de disposition de l'esprit, cette liberté abstraite est étrangère aux textes du Premier Testament.

En revanche, la réalité concrète d'un état de liberté est souvent évoquée ; ainsi, dans la plupart des passages où l'adjectif HoPhShY apparaît, c'est pour exprimer l'affranchissement d'un esclave, la libération d'une contrainte, l'élargissement d'un prisonnier comme en Esaïe 58,6 :

Le jeûne que je préconise – dit Dieu–
n'est-ce pas celui-ci :
détacher les chaînes de la méchanceté,
dénouer les liens du joug,
renvoyer libres ceux qu'on écrase,
et rompre le lien de tous les jougs ? …

Enfin, il y a tous les récits qui n'emploient pas de terme spécifique et qui cependant racontent la fin de l'esclavage ou la fin de l'oppression grâce à l'intervention d'un Dieu qui ‘sauve’, un Dieu qui “fait échapper à la menace de l'ennemi”, qui fait “s'échapper” (PaLaT), un Dieu qui fait “sortir de la maison de servitude”, un Dieu qui met fin à l'exil, un Dieu qui ‘renvoie’(ShaLaH) libre.

Terminons cette énumération incomplète par ce merveilleux passage d'Esaïe 61,1, un passage qui sera repris à son compte par Jésus en Luc 4, dans sa prédication à Nazareth :

———— "... Le souffle du Seigneur DIEU est sur moi,
————car le SEIGNEUR m'a conféré l'onction.
————Il m'a envoyé porter une bonne nouvelle aux pauvres,
————panser ceux qui ont le coeur brisé,
————proclamer aux captifs leur libération
————et aux prisonniers leur élargissement, ...

Dans ce passage, c'est un mot rare (10 fois seulement dans la Bible Hébraïque) qui est employé pour dire la libération générale, la libération jubilaire, c'est le mot DRÔR. Un mot qui dans d'autres acceptions signifie “hirondelle”, ou encore “goutte de myrrhe" (une résine odorante et précieuse ...), “hirondelle”, “goutte de parfum”, on le sent bien, si l'hébreu ne disserte pas de façon conceptuelle sur la liberté, son parfum est bien là !

Bref, dans la Bible Hébraïque, la liberté n'est pas d'abord une notion philosophique, mais une expérience concrète de libération.

• Dans le Nouveau Testament grec, en Luc en particulier (1,68 ; 2,38 ; ... 24,21), on retrouve aussi l'expression d'une libération concrète, il s'agit de l'espérance historique ou eschatologique (=finale) de la libération d'Israël ; rappelons-nous les pèlerins d'Emaüs qui se lamentent auprès de Jésus qu'ils n'ont pas encore reconnu en disant :
———“...Et nous, nous espérions
———qu'il était celui qui allait délivrer Israël.

Dans ces passages, ce n'est pas le terme grec spécifique pour dire la liberté qui est employé, mais des mots qui évoquent le rachat, la rédemption, l'affranchissement, le fait de délier, détacher, ... bref, des termes qui évoquent les mêmes situations concrètes que nous avons observées dans la Bible Hébraïque.

En effet, le terme grec spécifique pour dire la liberté, le mot eleutheria et ses dérivés, est presque exclusivement utilisé par l'apôtre Paul dans ses lettres. Si bien qu'étudier la notion de liberté dans le Nouveau Testament revient à travailler les lettres et la théologie de Paul !
Avant de nous engager dans cette voie, puisque l'apôtre a reçu de ce mot de sa culture hellénistique, examinons l'origine grecque d' eleutheria, ‘la liberté”, auquel correspond l'adjectif eleutheros, ‘libre’.

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Notons tout d'abord que ce mot eleutheria n'est pas à l'origine de notre mot français ‘liberté’. Non, notre mot ‘liberté’ vient du latin libertas, qui évoque l'état de l'homme libre liber. Ce mot latin libertas dérive lui-même du radical indo-européen lib qui renvoie à l'idée de plaisir (libido ; lieben ; …).
Comme nous allons le voir, le mot grec eleutheria renvoie plutôt à l'idée de volonté.

• Dans la littérature grecque antique
La plupart des chercheurs s'accordent pour dire que ce sont les grecs qui ont ‘inventé’ le concept de liberté, eleutheria. Cette liberté, est exaltée comme valeur essentielle de l'humanité dès les plus anciens textes de la littérature grecque antique au 5ème siècle av. J.C. avec Hérodote et Thucydide
Le plus souvent, c'est la dimension politique qui prévaut dans la Grèce antique, comme par exemple chez Xénophon, la liberté caractérise une souveraineté de d'individu ou de sa volonté.
Selon l'hypothèse la plus répandue parmi les spécialistes le sens originel de ce mot eleutheria, serait donc à chercher dans le contexte de la cité grecque où l'homme libre est défini par opposition à l'esclave.
Certains précisent que c'est dans la racine eleuth  qui exprime l'idée ”d'aller où l'on veut” qu'il conviendrait de trouver l'origine du mot eleutheria . Est libre, celui qui peut aller où il veut, contrairement à l'esclave qui doit rester chez son maître.
Mais cette racine eleuth  dériverait elle-même d'un radical indo-européen signifiant ‘croître’. Serait alors libre, celui qui peut croître sans entrave. Une signification qui pourrait être à l'origine du sens moral et spirituelle que prendra progressivement le terme dans la philosophie grecque.

Souveraineté de la volonté personnelle”, “aller où l'on veut”, “croître sans entrave”, voilà un programme dont l'attrait n'étonnera pas !
Et de fait, la plupart des écoles philosophiques grecques ont mis en avant la liberté comme un des biens les plus précieux à conquérir :
Les stoïciens par exemple parlent d'une liberté personnelle à conquérir en s'affranchissant des conditions extérieures, ou plutôt en refusant de leur accorder une emprise sur la vie spirituelle. Leur philosophie de la vie peut se résumer ainsi :4d571f4def19da5ff678eaa757a9fed3.jpg

Agir de façon libre et responsable
quand cela est possible,
et ne pas se laisser atteindre moralement
par ce qui ne dépend pas de nous.


Voilà pour les philosophes stoïciens le chemin de la vraie liberté.



• Chez l'apôtre Paul
Voyons donc comment l'apôtre Paul utilise et comprend ce concept eleutheria qu'il a reçu de l'hellénisme.
Ecoutons Paul dans un passage de la lettre qu'il écrit aux chrétiens de Galatie (au nord de l'actuelle Turquie), une épître que l'on peut lire tout entière comme un manifeste pour la liberté :

"... C'est pour la liberté que le Christ nous a libérés.
Tenez donc ferme, et ne vous remettez pas
sous le joug de l'esclavage.
...”

———————————————(Galates 5,1)

Toute l'épître aux Galates pourrait être résumée dans ce programme :
Pour Paul, le salut en Jésus-Christ consiste en la libération d'un esclavage !
(pour lire le chapitre 5 de la lettre aux Galates, cliquez ici)

A lui seul, Paul rassemble sous sa plume les trois quarts des utilisations des mots libre, liberté et libérer dans le tout le Nouveau Testament !
Il est véritablement “l'apôtre de la liberté”.

“... C'est pour la liberté que le Christ nous a libérés.
Tenez donc ferme, et ne vous remettez pas
sous le joug de l'esclavage.
...”

Comme dans l'origine grecque du concept, la liberté est ici opposée à l'état d'esclavage.
Mais, vous l'aurez compris, il ne s'agit pas de l'esclavage au sens de la situation sociale de beaucoup dans l'Antiquité, il s'agit d'un esclavage spirituel.

——De quoi est-il question, qu'entend Paul là ?

Pour Paul, l'être humain est naturellement soumis à un triple esclavage. Ce triple esclavage est celui de la mort, de la loi et du péché. Peut-être pensez-vous “Quelle vision pessimiste de l'être humain !” ...
Et pourtant c'est peut-être en abordant notre situation humaine de la façon la plus réaliste, que l'on peut le mieux ouvrir un chemin de liberté.

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Pour Paul, donc, l'être humain est naturellement soumis au triple esclavage de la mort, de la loi et du péché. Et ces trois esclavages sont liés.
Essayons donc de comprendre Paul :
Dans le refus de sa finitude, le fait qu'il soit mortel, qu'il ne soit pas tout puissant, l'homme vit en permanence dans le soucis d'oublier ou de dépasser cette condition. :
soit il le fait hors de la Loi divine
——en laissant libre court à ses instincts et pulsions ;
soit il le fait au contraire dans une observance
——scrupuleuse de la Loi qui tend, ou prétend,
——à la perfection.
——Et quand ce n'est pas sur la Loi de Moïse qu'il s'appuie,
——c'est sur toutes ces lois écrites ou implicites
——qui nous prescrivent : “Tu dois être le meilleur”.

Cet enjeu est déjà posé dans le récit du jardin d'Eden : “Etre comme des dieux”, ou dans le récit de la tour de Babel : “toucher le ciel et se faire un nom pour ne pas être effacé de la surface de la terre”.
Il va de soi que pour Paul, cette entreprise est vaine, qu'elle manque sa cible (et c'est là le sens originel du mot ‘péché’). Pour Paul, cette entreprise conduit même à l'opposé de ce à quoi elle prétendait amener : au lieu de la vie en abondance, elle conduit à la mort ; au lieu de la liberté, elle conduit à l'esclavage.
C'est ainsi qu'il faut comprendre Paul quand il écrit aux Romains,
et il parle aussi pour lui-même :

“... lorsque nous étions sous l'empire de la chair,
les passions des péchés étaient à l'œuvre,
par la loi, dans notre corps tout entier
et elles nous faisaient porter du fruit pour la mort.
Mais maintenant, nous sommes délivrés de la loi,
car nous sommes morts à ce qui nous tenait captifs,
de sorte que si nous sommes esclaves,
ce n'est plus sous le régime ancien de la lettre,
mais sous le régime nouveau de l'Esprit.
...”

———————————————————(Romains 7,5-6)

Mais qu'est-ce que ce “régime nouveau de l'esprit”, un régime sous l'esclavage duquel se cache paradoxalement la vraie liberté ?
C'est, pour Paul, ni plus ni moins que de se recevoir soi-même au bénéfice de la Croix du Christ, comprise comme une parole de contestation des logiques humaines de puissance (1 Corinthiens 1,18-25).
C'est pourquoi, à l'inverse des philosophes grecs (et de beaucoup de sagesses contemporaines), Paul ne croit pas qu'il soit possible d'acquérir la liberté au terme d'efforts sur soi-même, d'une initiation adéquate, ou quelque autre performance qui ressemblent trop à la Loi qui l'avait tenu en esclavage.
Non, pour Paul, la liberté ne peut qu'être reçue comme un don, il en va de la conversion à l'esprit de gratuité de l'Evangile.
Terminons notre parcours en écoutant encore Paul déclarer aux Corinthiens

… le Seigneur, est Esprit ;
et là où est l'Esprit du Seigneur,
là est la liberté...

——————————————— (2 Corinthiens 3,17)


Je nous souhaite à chacune et à chacun,
————le bonheur de nous ouvrir à cette liberté là.

Patrice ROLIN

—•o0O0o•—

En lien avec cette article, on pourra lire :

• l'article Les marches de la liberté par Corina COMBET GALLAND

• la présentation du livre de François VOUGA :
"Moi, Paul !"

• et bien sûr la Lettre de Paul aux Galates

—•o0O0o•—

L'article qui précède est le texte de l'émission
“Un mot de la Bible” sur Fréquence Protestante 100.7 FM
du samedi 19 janvier 2008.

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