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Jésus : chef de la secte chrétienne ?

Jésus fut-il semblable à ces chefs de secte qui réclament de leurs adeptes une vénération sans borne et une consécration totale des personnes et des biens pouvant aller jusqu’à la mort ?
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—————————(Jésus appelant ses premiers disciples,
————————DUCCIO di Buoninsegna - Sienne1250/60-1318)


La question mérite d’être posée si l’on songe à certaines paroles des évangiles (1) où à tel récit d’appel des disciples qui invite à une rupture radicale d’avec la famille et le milieu de vie habituel (2) ?

Une note proposée par Elian Cuvillier ...

Il est vrai que certaines paroles et attitudes de Jésus soulignent la rupture fondamentale qu’opère l’Evangile dans l’existence. Déjà, dans l’Ancien Testament, Abraham était appelé à partir de son pays, de la maison de son père (lire Genèse 12,1-4) ; comme lui, les disciples sont appelés à élargir radicalement l’espace de leur existence. L’Evangile constitue une nouvelle famille, non plus fondée sur les liens du sang ou de la terre, mais sur la foi (lire Marc 3,31-35). Devenir disciple, c’est trouver, ailleurs que dans le cercle familial, les relations professionnelles ou sociales, l’origine ethnique ou l’appartenance nationale, le sens de son existence et de la vie. C’est choisir le Règne de Dieu comme espace de liberté possible et devenir membre d’une nouvelle famille construite sur une autre généalogie et sur une autre paternité : naître d’en haut (Jean 3,1-8) et être reconnu, en Christ, comme “fils adoptif du Père” (lire Galates 4,1-6).

Ce qui précède ne signifie cependant pas que Jésus a fonctionné comme un gourou. C’est même le contraire que nous racontent les évangiles. Jésus y est d’abord présenté comme un homme public qui s’invite à toutes les tables et ne répugne à aucune fréquentation. Il ne fait rien en secret, et son message s’adresse à tous, sans exception (riches et pauvres, forts et faibles, sots et intelligents, hommes et femmes, autochtones et étrangers, …). Le chef de secte, au contraire, développe le plus souvent un langage hermétique, supposé compréhensible aux seuls initiés. Il choisit ceux qu’il accepte à sa suite selon des critères très précis : l’appartenance nationale ou raciale, l’adhésion à un code de conduite particulier, la soumission à un rituel initiatique … Qu’il ait dix auditeurs ou plusieurs millions, le gourou est un séducteur. Il est impensable de ne pas le suivre, tant sa parole séduit, créant l’illusion d’une communion indéfectible entre lui et ses adeptes (que l’on songe, cas extrême, à la communion entre Hitler et les foules allemandes dans les années 30). Jésus n’est pas un séducteur. Il ne cherche pas à emporter l’adhésion des masses ou à séduire ses rares disciples. Toujours, sa parole fait achoppement : elle crée un écart entre lui et l’auditeur.

Il s’ensuit que, sauf à s’illusionner sur lui-même, il est impensable que le disciple prétende parvenir à suivre Jésus jusqu’au bout (la figure de Pierre est ici exemplaire, voir Marc 14,26-31). Loin de souligner la supériorité du disciple sur le reste des hommes, l’appel à suivre Jésus révèle, dans les évangiles, l’incapacité fondamentale devant laquelle se trouve quiconque de répondre aux exigences de la Bonne Nouvelle. Seule la grâce et le pardon de Dieu permettent aux hommes de se savoir aimé et accueilli à partir du lieu où ils se trouvent. Egalement significatif, le fait que la plupart des personnes que Jésus guérit ne se mettent pas à suite : s’ils sont libérés des “démons” qui les oppressent, ce n’est pas pour se mettre sous le joug de quelqu’un d’autre, semble vouloir dire Jésus (lire Marc 5,18-20). Jésus, par sa parole et son action, crée ainsi une distance entre lui et ses auditeurs. Sa parole renvoie d’ailleurs à un autre que lui-même : outre qu’il ne se désigne jamais directement comme le Fils de Dieu où le Messie, Dieu et le Royaume sont toujours l’horizon de son message.

Différemment d’un gourou, Jésus est un Maître qui accepte de n’être pas celui qui sait tout, qui peut tout et que tout le monde sert :
«Je ne suis pas venu pour être servi
mais pour servir
»
——(voir Marc 10,45 ; Luc 22,27 ; et Jean 13,1-20)
Il se laisse convaincre et déplacer par la parole des autres : il n’a pas des certitudes toutes faites et immuables (voir Matthieu 15,21-28). Il reconnaît ne pas avoir le savoir absolu (voir Marc 13,32) et connaît la peur et l’angoisse (lire Marc 13,32-42). S’il accepte de subir la mort infamante de la croix … il n’entraîne cependant pas ses proches avec lui (voir Jean 18,8-9) !
Enfin, après Pâques, Jésus est un Seigneur “absent de corps” de sa communauté, un Seigneur qui se dérobe à ses disciples quand ceux-ci le reconnaissent (voir Luc 24,31) : il ne se laisse pas saisir par ses disciples et ne souhaite d’ailleurs mettre la main sur personne. Bref, si le gourou est au service de lui-même, de son délire, de son fantasme, Jésus est au service des hommes, leur révélant un autre visage de Dieu : non plus celui qui effraie, inquiète ou accorde le pouvoir sur les masses ; mais le visage d’un père aimant qui fait de l’homme un être libre.

Reconnaissons le pourtant, si Jésus ne fut pas un gourou, les disciples subirent, dès les premiers temps, la tentation sectaire :
Maître nous avons vu quelqu’un
qui chassait les démons en ton nom
et nous avons cherché à l’en empêcher
parce qu’il ne nous suivait pas

———————————————————(Marc 9,38)
Ainsi, ceux qui ne suivent pas le groupe officiel des disciples, n’auraient pas le droit de se réclamer de Jésus : raisonnement redoutable qui atteste que la volonté des disciples fut à l’opposé de celle de Jésus. Heureusement le Nouveau Testament nous montre que cette tentation sectaire est réduite à néant par l’existence même d’une pluralité de communautés se réclamant de Jésus : autour de Pierre, de Jacques, de Jean, de Paul d’Apolos ou d’autres encore, l’existence de l’Eglise primitive se décline au pluriel. Heureusement pour la liberté chrétienne, si l’Eglise invisible est une, l’Eglise visible se donne à connaître sous de multiples visages. Si tel n’était pas le cas, alors l’Eglise ne serait qu’une secte … ayant réussi !

Elian CUVILLIER



Notes :
(1) Voir Luc 14,26 : “Si quelqu’un vient à moi sans haïr son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères, ses sœurs, et même sa propre vie, il ne peut être mon disciple.
(2) Voir Marc 1,16-20 et 8,34-35.
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