Un mot de la Bible,
par Dominique Hernandez ...
La descendance de gaméô en français appartient selon les dictionnaires à la catégorie des mots savants. C’est l’affaire des ethnologues, des historiens, des sociologues, ou des juges de considérer les pratiques de monogamie, bigamie, polygamie. Cette question de norme sociale régie ou non par une loi explicite est cependant souvent pétrie par le religieux. La Loi de Moïse, et le christianisme ont fortement influencé le cours des pratiques en faveur de la monogamie, même si dans le premier Testament, les grands rois David et Salomon donnent eux-mêmes l’exemple d’une polygamie bien assumée ! (voir 2 Samuel 5,13 & 1 Rois 11,3)
Il en est de même pour l’endogamie qui consiste à prendre pour époux ou épouse quelqu’un de son clan, de son groupe, ou de sa religion : la thématique de la pureté y joue souvent un rôle important, les livres d’Esdras et Néhémie en laissent quelques fortes traces (voir Esdras 10 & Néhémie 13,23-27). Mais ce n’est pas le seul critère, on trouve par exemple sur internet les résultats d’une étude assez récente sur l’endogamie chez les Aveyronnais ! Au contraire de l’endogamie, l’exogamie ouvre le mariage à d’autres groupes que ceux du ou de la marié/e.
Une autre descendance de gaméô, et c’est le cas de le dire, concerne la reproduction (mais n’en faisons pas une morale pour lier mariage et reproduction !). Le gamète est la cellule reproductrice des espèces. Il existe des organismes isogames qui n’ont qu’un seul type de gamète et des organismes hétérogames chez lesquels la reproduction sexuée est assurée par des gamètes mâles, les spermatozoïdes et des gamètes femelles, les ovules, produits tous deux par gamétogenèse.
On rencontre aussi des cryptogames. Cet autre mot savant ne désignent pas ceux qui contractent un mariage secret ou se cachent pour se reproduire, mais des végétaux n’ayant ni fleurs ni fruits comme les mousses, les fougères, les algues ou les champignons. A l’inverse, les phanérogames sont les végétaux passant par des fleurs et des graines pour assurer leur reproduction.
Nous voici loin du Nouveau Testament alors revenons-y. Revenons-y pour un constat assez net. Dans le Nouveau Testament, le mariage, le fait d’être marié, est le plus souvent l’objet d’un discours : on parle sur le mariage, on parle du mariage. Pour rencontrer des mariés, des mariages, des couples avec leurs histoires d’amour, de larmes, de séduction, de déception, de deuil, leurs histoires d’ombres et de soleil, il faut se plonger dans l’Ancien testament.
Alors relevons d’abord les quelques exceptions où le mariage n’est pas objet de réflexion. Le livre des Actes (Actes 18), et l’apôtre Paul dans deux épîtres citent un couple, Priscille ou Prisca et Aquilas (Romains 16,3 & 1 Corinthiens 16,19), des collaborateurs de l’apôtre, sans toutefois que leur état marital soit évoqué.
De même, les sept maris de la Samaritaine, celle qui rencontre Jésus au puit de Jacob dans l’évangile selon Jean (Jean 4,1-42), sont désignés comme ses ‘hommes’, mais c’est un terme qui sert couramment pour dire le ‘mari’.
Marie qui justement est l’épouse de Joseph dans les évangiles de Matthieu et de Luc et si le mariage n’est pas raconté, le texte biblique, surtout celui de Matthieu, explique qu’il aura bien lieu en dépit d’une grossesse inattendue qui menace l’engagement de Joseph d'épouser Marie. C’est grâce à la visite de l’ange, qui avertit Joseph dans un songe de ne pas craindre cet enfant car il vient de l’Esprit, que Joseph prendra bien Marie pour femme. Mais là, ce n’est pas le verbe gaméô qui est employé.
Il l’en en revanche pour signaler dans l’évangile selon Marc (6,17s.), le mariage du roi Hérode avec Hérodiade la femme de son frère Philippe, mariage qui attire une sévère critique du roi de la part de Jean le Baptiste. Ce qui vaudra à Jean d’être emprisonné, et Hérodiade en profitera pour manipuler sa fille et son mari afin que Jean soit décapité.
Dans un autre genre, signalons aux trois derniers chapitres du livre de l’Apocalypse, l’image, la vision des “noces (gamos) de l’Agneau” avec la Jérusalem céleste parée comme une épouse pour son époux, toute en pierres précieuses et en perles, apothéose de la description du monde nouveau qui descend du ciel, description par laquelle l’auteur affirme à se manière que l’histoire des hommes appartient à Dieu seul (lire Apocalypse 19,1-10).
A strictement parler, tous les emplois du verbe gaméô dans le Nouveau Testament apparaissent dans des discours sur le mariage, discours ou lettres, lettres comme principalement la première épître de Paul aux Corinthiens dans le chapitre 7.
Ce chapitre concentre pas moins de 14 emplois de gaméô et de mot de la même famille signifiant ‘non-marié’, ‘célibataire’. La traduction française amplifie le phénomène avec les mots ‘époux / épouse’ ou homme marié/femme mariée qui rendent les termes ‘homme’ et ‘femme’, anêr et gunê que le grec utilisent même dans le mariage. Rendons justice à Paul : il répond dans cette partie de l’épître à une question que les Corinthiens lui ont posée. Mais le mariage n’est pas pour lui un sujet de prédilection ou un thème particulièrement important, il ne le reprendra pas par ailleurs. On retrouvera cette question du mariage dans des épîtres placées sous son nom mais dont l’attribution est contestée, comme par exemple l’épître aux Ephésiens mais qui n’emploie pas le verbe gaméô ou ses dérivés.
Dans la première épître aux Corinthiens (chapitre 7), Paul donne tout de suite son avis : “Passons maintenant au sujet dont vous m’avez parlé dans votre lettre. Il est bon pour un homme de s’abstenir de la femme” (traduction TOB, v.1) Plus loin nous lisons aux versets 8 et 9 : “Je dis donc aux célibataires (non-mariés) et aux veuves qu’il est bon de rester ainsi, comme moi. Mais s’ils ne peuvent pas vivre dans la continence, qu’ils se marient ; car il vaut mieux se marier que brûler.”
L’autre exhortation de Paul concerne ceux qui sont déjà mariés : qu’ils le restent, même si leur conjoint n’est pas croyant. Le mariage est pris très au sérieux par l’apôtre : l’époux ou l’épouse non-croyant est sanctifié par son conjoint. L’engagement du croyant vis à vis du non-croyant fait déborder la grâce sur celui-ci et sur les enfants. Cependant la question des Corinthiens, le sujet précis du mariage ou du célibat est rapidement transformé par Paul en occasion d’annoncer ce qui lui tient à cœur par-dessus tout, ce qui constitue le noyau central du chapitre, c’est que toute circonstance de la vie est à vivre en relation avec le Seigneur et dans la perspective d’un retour que l’apôtre attend dans un temps proche. Si dans sa vision du mariage l’homme marié ou la femme mariée est plus en souci des affaires du monde (plaire à son conjoint, ce qui n’est pas si déplacé comme conception du mariage), il ne fait pas du célibat une contrainte, une obligation, et le mariage, souligne-t-il, n’est pas un péché. Ouf !
Voyons maintenant ce qui est dit dans les évangiles où le verbe gaméô est assez peu employé. Dans la plupart des cas, la thématique du mariage vient en illustration d’un autre sujet.
C’est par exemple la question posée à Jésus par les Sadducéens au sujet de la résurrection (Matthieu 22,23-33). L’exemple est pris par les Sadducéens d’une femme ayant épousé successivement sept frères car les six premiers sont morts avant elle, sans descendance. Selon la loi du lévirat, une veuve sans enfant est prise pour femme par le frère de son défunt mari. La réponse de Jésus est une merveille elliptique et poétique : « ... à la résurrection, ni les hommes ni les femmes ne se marient, mais ils sont comme des anges dans le ciel. »
Voyons encore dans le même évangile de Matthieu, l’exemple de la génération de Noé qui buvait, mangeait et se mariait, sans penser à rien, sans se douter de rien, jusqu’au jour du déluge qui emporte tout. Et nul non plus ne connaît le jour et l’heure de la venue du Fils de l’homme.
Aussi dans l’évangile de Luc, dans la parabole du grand repas (chapitre 14) où les premiers invités déclinent tous l’invitation sous divers prétextes et l’un d’eux, c’est parce qu’il vient de se marier. Tous les pauvres, estropiés, aveugles et boiteux de la ville les remplaceront au grand festin.
Il nous reste les passages parallèles de Matthieu, Marc et Luc où l’interrogation posée à Jésus porte sur la répudiation. Allons le lire dans l’évangile de Marc (10,1-12). Les pharisiens ont lancé un assaut contre Jésus pour l’entendre au sujet de la répudiation, la Loi de Moïse leur servant de test. Jésus a répondu en citant Genèse 2,24, mais les disciples reviennent en privé sur le sujet et le Jésus de Marc se montre affirmatif : si un homme ou une femme répudie son conjoint et en épouse un autre, il est adultère.
Nous n’entrerons pas ici dans la discussion sur l’interprétation, les interprétations qui ont été faites de ces passages.
Mais il ne faudrait pas faire porter au verbe gaméô plus que ce que les textes du Nouveau Testament lui accordent. Dans la lignée de Paul, et l’apôtre lui-même dans l’épître aux Romains (7,1-3), d’autres épîtres, Ephésiens (5,21) et Colossiens (3,18-19) par exemple exhortent les femmes à être soumises à leurs maris et les maris à aimer leurs femmes en plaçant la relation du mariage dans la perspective de la foi, comme et à l’image de toutes les autres relations humaines, devant le Dieu de toute bénédiction.
Pour finir, un clin d’œil sur le mot français ‘épouser’. Il est issu d’une racine indo-européenne signifiant “faire une libation”, reprise telle qu’elle en grec et en latin où spondere signifiait plus précisément : “prendre un engagement solennel de caractère religieux”. Et ainsi nous trouvons dans la famille d’épouser : réponse, responsable, et correspondre, ce qui va plutôt bien au mariage. Mais dans la même famille, il y a également riposter. C’est aussi parfois nécessaire dans le mariage !
Dominique HERNANDEZ
L'article qui précède est le texte de l'émission
“Un mot de la Bible” sur Fréquence Protestante 100.7 FM
du samedi 21 mai 2005.