Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

PRESBUTEROS

Presbuteros sonne familièrement aux oreilles de ceux qui connaissent un peu les Eglises. On y entend bien quelque chose qui rappelle ‘presbytère’, lieu de résidence des pasteurs et des prêtres, ou encore ‘presbytéral’, le conseil presbytéral désignant dans l’Eglise catholique un groupe de prêtres élus pour le conseil de l’évêque pour l’ensemble des prêtres du diocèse, ou dans les Eglises de la Réforme, les membres de l’association cultuelle élus par l’assemblée générale et en charge du gouvernement d’une paroisse locale. On ajoutera à ces résonances les Eglises ‘presbytériennes’, qui sont les Eglises de confession réformée dans le monde anglo-saxon, mais aussi, et dans un tout autre domaine, la ‘presbytie’, cette malheureuse conséquence de l’âge qui, vers 40-45 ans, oblige la plupart d’entre nous à tendre les bras, à allonger la distance de la page à l’œil pour arriver à lire, jusqu’à ce que des lunettes adaptées deviennent indispensables.
medium_AnciensStJacques.jpg
————Deux des vingt quatre anciens de l'Apocalypse louant Dieu,
————————cathédrale de St Jacques de Compostelle


C’est que presbuteros signifie ‘ancien’.
Un ancien, presbuteros n’est pas un adjectif, c’est un substantif, le mot grec correspondant à l’adjectif est tout différent : palaios.

Un mot de la Bible,
par Dominique Hernandez ...

Presbuteros, dans la Bible, c’est un être humain. Et à une exception, nous y reviendrons plus tard, ils sont plusieurs : il est presque toujours question des anciens.
Dans le Nouveau Testament, ce sont par exemple les générations passées qui sont ainsi représentées. C’est ainsi que Jésus parle aux foules lors du discours sur la montagne, dans l’évangile selon Matthieu en disant :
«Vous avez entendu qu’il a été dit aux anciens : tu ne te parjureras pas, mais tu t’acquitteras envers le Seigneur de tes serments. Et moi je vous dis de ne pas jurer du tout : ni par le ciel car c’est le trône de Dieu, ni par la terre car c’est l’escabeau de ses pieds, ni par Jérusalem car c’est la ville du grand roi. Ne jure pas non plus par ta tête car tu ne peux en rendre un seul cheveu blanc ou noir.
Quand vous parlez, dites Oui ou Non, tout le reste vient du malin.
»——————(Matthieu 5,33-37)
Cette forme : “vous avez entendu qu’il a été dit aux anciens … mais moi je vous dis” revient à plusieurs reprises dans ce discours. Ce qui a été donné aux anciens est dépassé dans la nouveauté de la venue de Jésus ; la loi donnée aux anciens est accomplies en Jésus. L’apôtre Paul le dit à sa manière en parlant de l’Ancienne Alliance (avec l’adjectif palaios) cédant la place à la nouvelle alliance. Notons que dans l’évangile selon Jean, ce n’est pas le terme anciens qui désigne les générations précédentes (le mot presbuteros est absent de l’évangile de Jean) mais le mot ‘pères’, quand Jésus dit par exemple (Jean 6) :
«Je suis le pain de vie. Vos pères ont mangé la manne dans le désert et ils sont morts. Tel est le pain qui descend du ciel, que celui qui en mangera ne mourra pas.»
En ce sens, les anciens sont les référents de la foi et des traditions d’Israël, ce qui est encore bien mis en lumière dans l’évangile de Marc, au chapitre 7, lorsque les pharisiens s’aperçoivent que Jésus et ses disciples ne procèdent pas aux ablutions rituelles avant le repas, il est précisé :
En effet, les pharisiens et tous les autres Juifs respectent les règles transmises par leurs ancêtres : ils ne mangent pas sans s’être lavé les mains avec soin.—————————————(Marc 7,3)

Dans le Premier Testament
En effet, si nous faisons un pas en arrière dans le temps par rapport au premier siècle de notre ère, nous voyons que ‘les anciens’ sont très importants dans les récits du Premier Testament. Le terme hébreu ZaQèN traduit par ‘anciens’, toujours au pluriel également, est présent dans un grand nombre de livres. Qui sont ces anciens ? Les hommes les plus âgés, les plus sages, les plus respectables, les élites ? Peut-être un peu de tout cela. Ce qui est certain, c’est que ce sont des hommes.
Dans le peuple nomade, les anciens sont vraisemblablement les chefs de familles. Moïse emmène avec lui 70 d’entre eux lors de la conclusion de l’alliance avec le Dieu d’Israël sur le mont Sinaï (Exode 24). Dans le livre des Nombres, au chapitre 11, ce sont encore 70 parmi les anciens qui sont choisis par Moïse pour porter avec lui la charge du peuple au désert. L’Esprit de l’Eternel repose sur eux et ils se mettent à prophétiser… ainsi que deux autres hommes restés dans le camp et qui n’avait pas été, eux, retenus par Moïse !
Lorsqu’il est question de villes, les anciens y exercent toujours en groupe une responsabilité parmi le peuple notamment en matière de justice. Par exemple, dans le livre du Deutéronome, il est prescrit que lorsqu’un crime a eu lieu à l’extérieur d’une ville et que le ou les auteurs en sont inconnus, ce sont les anciens qui procèdent aux préparatifs du rituel d’expiation afin que le mal soulevé par le crime ne se répande pas sur la ville. Dans le livre de Ruth, c’est devant dix des anciens de la ville que Booz va régler, fort astucieusement et en sa faveur, la question du rachat du champ de Noémi mais surtout celle de savoir qui va épouser Ruth !


Dans le Nouveau Testament
Ainsi, lorsque les évangélistes parlent des ‘anciens’, ils se réfèrent à une tradition bien établie, et au temps de Jésus, les anciens sont les chefs des familles laïques les plus influentes ; ils siègent au Sanhédrin avec les chefs des prêtres et les scribes. Les textes des Evangiles les associent aux grands-prêtres la plupart du temps : “les grands-prêtres et les anciens du peuple” forment un groupe tout à fait uni, compact, particulièrement dans l’évangile de Matthieu.
Mais un groupe particulier des anciens se retrouvent dans les premières communautés chrétiennes. Le livre des Actes des apôtres et quelques épîtres en portent témoignage. Quelques épîtres mais pas les grandes épîtres de Paul, alors que de son côté, Luc met en scène dans le livre des Actes plusieurs rencontres entre l’apôtre et les anciens de diverses communautés. Peut-être faut-il comprendre là que le groupe constitué des anciens est plus tardif que le ministère de Paul,
sauf peut-être dans l’Eglise de Jérusalem, bien plus proche du judaïsme que les communautés fondées par Paul.
Ainsi, lors de la rencontre de Jérusalem lors de laquelle s’affrontent Paul et Banabas et les judéo-chrétiens tenant à l’observance des prescriptions de la loi de Moïse, ce sont les apôtres et les anciens qui signent ensemble une lettre de conciliation pour les chrétiens d’Antioche. Apôtres et anciens semblent ainsi constituer les deux collèges exerçant l’autorité dans l’Eglise de Jérusalem. Autres et dernière rencontre de Paul avec les anciens de Jérusalem selon Luc, au chapitre 21 du livre des Actes des Apôtres, et Paul justement raconte à Jacques et aux anciens tout ce que, par son service, Dieu avait accompli chez les païens. On relèvera d’ailleurs que Luc, à partir de la rencontre de Jérusalem, ne mentionne plus ni Pierre ni les autres apôtres, mais seulement Jacques et les anciens. Il apparaît que le collège des anciens assurent ainsi la succession du collège des apôtres, lorsque ceux-ci ayant disparu, il s’agit de maintenir la toute jeune Eglise du Christ dans la fidélité à l’Evangile.
Il n’est précisé nulle part si le terme ‘ancien’ se réfère à l’âge, à l’expérience ou à la sagesse, ou bien à l’ancienneté et à la fidélité dans la foi de ceux qui composent le collège des anciens.

Mais comment est décrite la fonction de ces anciens, de ces presbytres ? Il s’agit bien d’un ministère dans l’Eglise (d’ailleurs c’est presbuteros qui après un passage par le latin donnera le mot ‘prêtre’), mais quel est-il ?
Nous le découvrons par exemple dans le récit d’Actes 20, avec le beau discours de Paul aux anciens d’Ephèse sur la plage de Milet :
«Prenez soin de vous-mêmes et du troupeau dont l’Esprit Saint vous a établi les gardiens, soyez les bergers de l’Eglise de Dieu, qu’il s’est acquise par son propre sang.»——————(Actes 20,28)
Prendre soin du troupeau dont on est le berger, l’image pastorale, prenant racine dans les paroles des prophètes d’Israël et présente dans bien des paraboles de Jésus, s’articule autour de la garde, qui est en réalité une veille vigilante laquelle se dit en grec : episkopè. Voici donc les presbytres établis comme épiscopes (évêques en langage plus moderne) des communautés locales.

C’est que le temps passant, les Eglises doivent s’organiser et les épîtres dites pastorales portent particulièrement ce souci. La première épître à Timothée distingue l’épiscope, les diacres et les anciens, encore qu’on ne fasse pas forcément bien la différence entre la tâche de l’épiscope et celle des anciens. Une des exhortations de l’auteur de la lettre à Timothée lui rappelle le don de la grâce qui est en lui, qui lui fut conféré par une intervention prophétique accompagnée de l’imposition des mains du presbyterium, c’est à dire le collège des anciens.
Dans le cinquième chapitre de la première épître de Pierre, une exhortation particulière est adressée aux anciens, aux presbytres. Là encore, leur ministère est décrit avec des images pastorales :
Je m’adresse maintenant à ceux qui parmi vous sont anciens d’Eglise. Je suis ancien moi aussi ; je suis témoin des souffrances du Christ et j’aurai part à la gloire qui va être révélée. Voici ce que je leur demande : prenez soin, comme des bergers, du troupeau que Dieu vous a confié ; veillez sur lui, non par obligation, mais de bon cœur, comme Dieu le désire. Agissez non par désir de vous enrichir, mais par dévouement. Ne cherchez pas à dominer ceux qui ont été confiés à votre garde, mais soyez des modèles pour le troupeau. Et quand le chef des bergers paraîtra, vous recevrez la couronne glorieuse qui ne perdra jamais son éclat.
Ainsi, l’auteur de la première de Pierre, introduisant la grande figure de l’apôtre comme co-ancien et se référent au chemin à suivre de la souffrance à la gloire, indique dans quel état d’esprit les anciens, les presbytres doivent accomplir leur ministère dans des temps de troubles et de persécutions.
medium_AncienApocalypse1.jpg
Deux des anciens de l'Apocalypse, Eglise St Martin (Indre) XIIème s.

Chez les Pères de l'Eglise
Si nous faisons un pas en avant, plus loin que les écrits du Nouveau testament, vers ceux des Pères apostoliques, les grandes figures du christianisme après le second siècle, nous trouverons également la mention des anciens, par exemple dans la première épître de Clément aux Corinthiens, anciens qui paraissent bien avoir un ministère d’évêque dans les communautés.
Et beaucoup, beaucoup plus tard, au XVIème siècle, et en français les anciens auront dans les communautés réformées un ministère toujours défini en terme de veille sur le troupeau, plus particulièrement une surveillance d’ordre disciplinaire. Ils sont les ancêtres des conseillers presbytéraux d’aujourd’hui.

Mais revenons au Nouveau Testament, pour nous intéresser à l’exception relevée tout au début de cette enquête : le seul cas où il est fait mention d’un ancien, un seul, tout seul. Il s’agit de l’auteur de la deuxième et de la troisième épître de Jean, qui se présente ainsi d’emblée, c’est le premier mot des deux lettres : le presbuteros, “l’ancien”. Beaucoup de traductions de la Bible amplifient l’effet en mettant une majuscule à Ancien. On peut d’ailleurs légitimement penser que cet ancien est également l’auteur de la première épître de Jean. Sa fonction dans les Eglises johanniques est semblable à celle évoquée précédemment, mais alors, pourquoi est-il seul, isolé du reste du collège des anciens ? Sans preuve certaine, on peut néanmoins avancer que dans les Eglises johanniques, cet ancien doit représenter au moment de la rédaction des épîtres, le groupe des plus proches du disciple bien-aimé qui, lui, a disparu ; c’est ce groupe qu’on appelle l’école johannique et qui est à l’origine de la rédaction de l’évangile de Jean, dans la tradition du disciple bien-aimé. L’ancien est celui qui a vu le disciple qui a vu Jésus qui a vu Dieu. Cette proximité l’autorise à se distinguer d’autres anciens qui appartiennent à une génération plus récente et qui n’ont pas connu le disciple bien–aimé. Au nom de cette continuité, de cette fidélité, l’Ancien s’élève dans les deux épîtres contre ceux qui, de son point de vue, sont des schismatiques, infidèles à la tradition et à l’évangile.

Nous voici au terme de cette enquête un peu rapide, un peu cavalière, mais de l'évêque au diacre et au presbuteros, nous avons survolé avec les anciens un aspect de la question du ministère dans l’Eglise, ce qui est une question à la fois ancienne et tout à fait actuelle.

Dominique HERNANDEZ


—•o0O0o•—

L'article qui précède est le texte de l'émission
“Un mot de la Bible” sur Fréquence Protestante 100.7 FM
du samedi 25 novembre 2006.

Les commentaires sont fermés.