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Les mots de la mer

Les Grecs -nul ne l'ignore- sont des marins. Sillonnant les mers en tous sens, ils lui donnent des noms divers choisis en fonction de l'éloignement des côtes et de la facilité, de la difficulté, ou de l'impossibilité de franchir l'élément liquide.
Les grecs nous ont laissé un mot devenu célèbre. Grâce à la télévision tout le monde sait ce que signifie le mot thalassa.
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En grec classique, chez Homère par exemple, il faudrait même dire thalatta. Je ne reviendrai pas sur ce terme qui a déjà été présenté (lire la note sur ce mot) si ce n'est pour souligner que c'est le mot le plus courant et de loin pour parler dans mer dans l'Ancien comme dans le Nouveau Testament avec 358 emplois pour l'Ancien Testament grec de la Septante, et 83 pour le Nouveau Testament.

Des mots de la Bible,
par Jean-Pierre Sternberger ...

Mais il est d'autres noms pour désigner la mer en langue grecque, des noms que nous trouvons çà et là en feuilletant les pages de la Bible : okeanos, pontos, bothus, pelagos. Or chacun de ces mots comporte une nuance qu'il est bon d'entendre même si elle n'est pas toujours facile à transmettre dans la traduction.


Ôkeanos
Avant de passer en revue certains de ces autres noms donnés à la mer dans la Bible, je vous propose d'évoquer un nom qui ne se trouve pas dans la Bible mais qui nous est familier, le mot ôkeanos ancêtre de notre ‘océan’ et ses dérivés.
Ôkeanos désigne en grec la mer extérieure, une mer qui n'est pas comme la mer noire ou la Méditerranée limitée par des terres. Avant d'évoquer pour les grecs l'océan, l'ôkeanos désignait le grand fleuve sans fin ni source qui marquait la limite du monde habité dont il faisait le tour. Ôkeanos personnifié était disait-on fils d'Ouranos, le ciel, et de Gaia, la terre. Les Hébreux qui ont écrit la Bible et vivaient à l'extrémité du bassin méditerranéen ne connaissaient pas l'océan. Le mot ôkeanos est donc absent de l'Ancien comme du Nouveau Testament. Mais on pourra lire toutefois au livre de la Genèse qu'un fleuve tout aussi mythique que l'Ôkeanos sortait du jardin d'Eden pour aller irriguer la totalité du monde des hommes (lequel est entouré par l'abime primordial, qui correpond précisément aux océans au-delà desquels il n'y a -à l'époque- pas de terres connues).


Pontos
Venons-en aux noms bibliques de la mer, autres que thalassa.
Un premier terme peut nous paraître étrange pour désigner la mer puisqu'il s'agit du mot pontos, dans lequel nous entendons sans hésitation le mot ‘pont’. Pour nous, gens de la terre, un pont est au-dessus de l'eau. C'est tout aussi vrai pour les ponts routiers ou ferroviaires que pour les ponts des navires et leurs entreponts. Pour les grecs, gens de mer, ces grecs qui ne pouvaient aisément se déplacer qu'en empruntant les voies maritimes, l'eau n'est pas un obstacle mais au contraire une facilité. Un ‘pont’, un pontos, mot de la même famille que patos qui veut dire ‘chemin’, un pont en Grèce c'est de l'eau ! De l'eau et le plus souvent de l'eau de mer. Le pont en grec c'est la mer qui relie les hommes. Ainsi en va-t-il de la mer noire, par exemple que les Grecs appellent “Pont Euxin”, c'est à dire la “mer hospitalière", la mer (pontos) bonne (eu comme dans euangellion, “bonne nouvelle”) et hôte (xeinos, "étranger” comme dans “xénophobie”, peur de l'étranger, mais aussi “hôte”) ; Pontos Eu Xeinos = Pont Euxin. Et la région côtière de cette mer noire, ce "Pont-Euxin” s'appelle aussi Pont, Pontos, un nom géographique que nous retrouvons dans les Actes des apôtres (2,9) ou dans la première lettre de Pierre (1,1).
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Et puis, il y a Ponce Pilate, Pontius Pilate, dont le nom rappelle peut-être son origine. En effet, le prénom latin Pontius, Ponce, vient du Pont-Euxin (autrement dit, la mer que nous appelons “Noire”, mais que les grecs nommèrent d'abord Skuthikos pontos (la “mer Scythique” ou “mer des Scythiques”, un peuple de langue iranienne).
Bref, Ponce Pilate, pourrait être traduit par “Pilate Dupont” !

Dans la Bible grecque des Septante, nous trouvons ce mot pontos en Proverbes 30,18-19, avec ce sens spécifique de mer comme lieu de communication :
Il y a trois choses étonnantes que je ne peux comprendre, quatre que je ne connais pas : la trace de l'aigle en vol, les chemins du serpent sur le rocher, la route du bateau avançant sur la mer et les chemins de l'homme dans sa jeunesse.
Ce verset en grec comporte une fois le mot pontos et deux fois le mot odos, chemin.
En Exode 15,4-5, par contre, il s'agit d'un chemin qui s'interrompt, les chars de Pharaon, qui ne sont pas étanches et ne peuvent se hasarder sur les routes maritimes des croiseurs achéens, les chars sont précipités dans la mer :
Sous les flots (pontos), [le Seigneur] les a recouverts.
Pour la cavalerie de Pharaon, la route s'arrête là, elle se transforme en abîme.


Buthos
En abîme et c'est un autre mot pour dire la mer que nous trouvons dans la deuxième partie de ce même verset d'Exode 15,5 :
Ils se sont enfoncés dans l'abîme comme une pierre.
Cette fois, la mer n'est plus qualifiée de pontos, ‘chemin’ mais de buthos, ‘abime’. Buthos est un mot que l'on retrouve dans le texte parallèle de Néhémie 9,11, toujours au sujet des chars du Pharaon mais aussi dans le psaumes 68 (grec 67) au verset 23 :
Le Seigneur dit : «Je les ramènerai du Bashân, je les ramènerai des profondeurs de la mer»
et au psaume 69 (grec 68), au verset 3 :
J'enfonce dans la boue des profondeurs, sans pouvoir tenir;
je descends au fond des eaux, un courant m'emporte.
ainsi qu'au verset 16 :
Que le courant de l'eau ne m'emporte pas,
que les profondeurs ne m'engloutissent pas,
et que le puits ne se referme pas sur moi !
L'abîme ici ne renvoie pas aux abysses des océans mais à la profondeur de la détresse du croyant entraînés dirions nous au 36ème dessous.
C'est à cet abîme que fait aussi allusion le texte de Luc 5,7 : “Ils, -c'est à dire les disciples bénéficiaires d'une pêche prodigieuse- firent signe à leurs compagnons qui étaient dans l'autre barque de venir les aider. Ils vinrent et ils remplirent les deux barques, au point qu'elles enfonçaient.” (littéralement elle “s'abîmait”, avec un verbe formé sur le nom bothus).
D'un point de vue moral, cette fois 1 Timothée 6,9 dénonce ...
... ceux qui veulent s'enrichir tombent dans la tentation, dans le piège, et dans beaucoup de désirs insensés et pernicieux qui plongent les hommes dans la ruine et la perdition."

Mais c'est sans doute le psaume 107 (grec 106) qui n'est pas sans rappeler le chapitre 1 du livre de Jonas et qui évoque le mieux les périls de la mer avec au verset 24 ce mot de bothus que nous traduisons
[le Seigneur] parla et fit lever un vent de tempête
qui souleva les flots.
Ils montaient vers le ciel,
ils descendaient dans les abîmes ;
ils défaillaient dans le malheur ;
saisis de vertige, ils titubaient comme l'ivrogne,
et toute leur sagesse était engloutie.
Dans la détresse, ils crièrent vers le Seigneur,
et il les fit sortir de leur désarroi.
Il arrêta, calma la tempête,
et les flots se turent.
Ils se réjouirent de ce qu'ils s'étaient apaisés,
et il les conduisit au port désiré.
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————————(pour lire le livre de Jonas cliquez ici)

Pelagos
Enfin, après la mer comme voie de passage (pontos) puis comme ‘abîme’ (buthos), voici un troisième mot qui en grec désigne la mer, le mot "pelagos" qui a donné en français ‘pélagique’, adjectif qui en océanographie (un mot dont vous savez maintenant qu'il vient du grec okeanos) désigne la zone haute, à la différence des profondeurs, peuplée de plancton et de poissons.
Le mot pelagos désigne en grec la haute mer. Dans la Bible, on le trouve tout d'abord en 2 Maccabées 5,21 au sujet d'Antiochus Épiphanie dont on nous dit que non content d'avoir pillé le temple de Jérusalem, il croyait “dans son orgueil et l'exaltation de son coeur, avoir rendu navigable la terre ferme et la mer praticable à la marche.” En d'autre termes, Antiochus se prenait pour un dieu, un dieu navigant sur terre et marchant sur l'eau.
Dans le nouveau Testament le mot apparaît deux fois.
En Matthieu 18,6 tout d'abord :
«Mais si quelqu'un devait causer la chute de l'un de ces petits qui mettent leur foi en moi, il serait avantageux pour lui qu'on lui suspende une meule de moulin au cou et qu'on le noie au fond de la mer.»
Ce n'est pas à quelques mètres de la côte que disparaîtra celui qui sciemment faut tomber les petits mais en pleine mer, le plus loin possible.
Le même mot se trouve aussi en Actes 27,5 :
Après avoir traversé la mer qui baigne la Cilicie et la Pamphylie, nous avons débarqué à Myra, en Lycie.
Ici encore la précision du terme ajoute au sens du texte : le récit du naufrage de Paul dont est extrait ce verset n'a sans doute pas été rédigé par un marin d'eau douce ! C'est bien en haute mer que l'apôtre a connu la tempête.

Nous avons donc un peu au cours de cette étude touché du doigt une des difficultés de la traduction. Traduire ce n'est pas seulement remplacer des mots d'une langue par des mots d'une autre langue, c'est aussi faire communiquer deux univers, voir trois dans le cas qui nous intéresse.
• Le premier univers en l'occurrence, c'est celui des Hébreux et des Juifs rédacteurs de l'Ancien Testament. Peu enclins à parcourir les mers, ceux-là n'ont pas ressenti le besoin de nuancer leur discours sur la mer ce qui se traduit, en ce qui concerne la traduction de la Septante par la grande prévalence du mot thalassa, terme assez général correspondant bien à l'hébreu YaM pour désigner une grande quantité d'eau (lac, mer, océan ...).
• Le deuxième univers, c'est celui des grecs, grands marins devant l'Éternel pour qui la mer peut être aussi bien le chemin, l'abîme ou la lointaine “haute mer”.
• Le troisième univers, c'est le nôtre car nous aussi nous avons notre propre expérience de la mer, un milieu vivant, le berceau de la vie, que beaucoup d'abus ont rendu fragile.

Jean-Pierre STERNBERGER


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L'article qui précède est le texte de l'émission
“Un mot de la Bible” sur Fréquence Protestante 100.7 FM
du samedi 5 mai 2007.

En complèment, lire les articles :
THALASSA, la mer, par Jean-Pierre Sternberger
La symbolique de l'eau, par patrice Rolin
Et consulter les cartes dans la note :
La Palestine, une région et ses habitants

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