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PARRÊSIA, l'assurance

Parrêsia, un mot de la Bible dont la palette des sens est très riche, et auquel peuvent correspondre plusieurs traductions en français.
Au point de départ de ce mot, il y a la confiance, qui peut, soit rester une conviction intime, soit s’extérioriser dans le débat public sous la forme de la franchise, de la liberté de parole, de l’assurance, et même de la hardiesse. Avec toutes ces résonnances, le mot parrêsia est donc difficile à traduire et peu repérable dans les traductions françaises du Nouveau Testament.

Un mot de la Bible par Norbert ADELINE ...

C’est le mot assurance que nous allons privilégier dans notre présentation pour traduire parrêsia, mais n’oublions pas les autres valeurs de la parrêsia, dans le champ de la droiture, de la simplicité et de l’enthousiasme. Tel apparaît ce mot parrêsia dont le champ de significations est vaste et qui a une résonnance toute particulière dans le texte biblique.
Nous associerons évidemment au nom parrêsia le verbe parrêsiazomai qui lui correspond, et qui signifie donc ‘se conduire avec assurance’.

Dans le Nouveau Testament les attestations de ces deux mots sont nombreuses : parrêsia et parrêsiazomai se rencontrent une quarantaine de fois et nous noterons que la répartition de ces attestations est irrégulière. Aucun emploi chez Matthieu. Un seul emploi chez Marc. Mais des emplois dans l’Evangile selon Jean et le reste dans les Actes et les Epîtres. Rien d’étonnant à ce qu’on rencontre souvent, dans les textes centraux de la proclamation apostolique, un mot qui exprime l’assurance et la force de la conviction.

Avec parrêsia, aucun dépaysement pour nous au 21ème siècle, puisque nous sommes ici au cœur des valeurs de la communication, de la persuasion et du contact, auxquelles l’époque actuelle est très attachée dans le domaine des relations humaines.
Remarquons aussi qu’à l’autre bout de la chaîne, quatre siècles avant J.C., ces valeurs de la parrêsia sont déjà des valeurs centrales dans le monde de la philosophie et celui de l’éloquence politique, en Grèce à l’âge classique. Ainsi, le mot parrêsia est attesté dans les textes de Platon et ceux d’orateurs comme Démosthène ou Isocrate.
Autant de données qui permettent de mieux apprécier les valeurs toniques de la parrêsia dans le Nouveau Testament, valeurs fondées sur la sincérité du témoignage.

Ainsi au début de l’Evangile selon Jean, nous lisons le témoignage de Jean le Baptiseur interrogé par les prêtres et les lévites. Jean témoigne d’abord de ce qu’il n’est pas : il n’est ni le Christ, ni Elie, ni le Prophète. Et quand l’interrogatoire se précise, une question étonnante est posée à Jean : «Que dis-tu de toi-même ?»... Et celui-ci donne avec fermeté la réponse de celui qui n’est déjà plus lui-même : «Je suis la voix qui crie dans le désert ...» (Jean 1,22-23). Dans ce passage, le mot parrêsia lui-même n’est pas employé. Mais l’attitude de Jean illustre parfaitement ce qu’est l’esprit de ce mot, fondé non pas sur la bravade et l’arrogance mais sur la conscience profonde de la dignité de la mission à accomplir.

Dans cette perspective, l’assurance n’est pas la posture que prennent les timides pour se donner du courage ou les vaniteux pour se donner de l’importance. L’assurance et l’espérance sont bien au contraire indissociables de la foi, comme en témoigne l’Epître aux Ephésiens :
C’est en Jésus-Christ par sa foi que nous avons l’assurance nécessaire pour nous approcher de Dieu avec confiance—————————————————(Ephésiens 3,12)

Et dans l’Epître aux Hébreux :
La maison du Christ c’est nous, si nous conservons l’assurance et l’espérance dont nous sommes fiers.—————————————————(Hébreux 3,6)


Abordons maintenant un autre aspect de la parrêsia : l’assurance non plus en valeur d’expérience personnelle, comme nous venons de le voir, mais en valeur de conviction, affichée publiquement, face à l’adversaire à qui il ne faut pas laisser le dernier mot, face à l’indécis qu’il faut conquérir ou encore face au timide qu’il faut rassurer.
La parrêsia soutient la vérité proclamée avec détermination. Nous entrons ici dans ces débats publics si nombreux dans le Nouveau Testament. La joute est toujours serrée quand il faut amener l’interlocuteur soit à l’adhésion, soit au silence de la défaite.

Ainsi, au chapitre 7 de l’Evangile selon Jean, c’est l’expérience de Jésus, affrontant des contradicteurs lors de la fête des Tentes, en présence d’une foule nombreuse.
Les habitants de Jérusalem sont interloqués par la hardiesse de Jésus, mais, par peur des Juifs, la foule reste prudente et silencieuse. L’évangéliste précise : “Personne ne parlait librement de Jésus” (Jean 7,13) (c’est-à-dire que personne n’osait dire à voix haute, ouvertement, que la parole de Jésus était convaincante). Alors Jésus s’adresse à la foule, qui est impressionnée par son audace :
Quelques habitants de Jérusalem disaient :
«N’est-ce pas celui qu’ils cherchent à tuer ?
Le voilà qui parle librement, et les Juifs ne lui disent rien.
»”
—————————————————(Jean 7,26)

Un témoignage de même portée est donné dans les Actes, lorsque les membres du Sanhédrin font comparaître Pierre et Jean. Les accusateurs sont emplis d’étonnement devant la liberté de parole de Pierre et Jean :
En voyant l’assurance de Pierre et de Jean, ils étaient étonnés, car ils se rendaient compte que c’étaient des gens du peuple sans instruction. Ils reconnaissaient en eux ceux qui étaient avec Jésus. Mais comme ils voyaient debout auprès d’eux l’homme guéri, ils n’avaient rien à répliquer.
—————————————————(Actes 4,13-14)

L’assurance de Jésus, comme celle de Pierre et de Jean, contraint les Juifs au silence, qui est aveu d’impuissance. Alors les Juifs eux-mêmes décident de réduire à leur tour Pierre et Jean au silence : «Défendons-leur, avec des menaces, de parler désormais à qui que ce soit en ce nom-là.»
En ce nom-là... Car les membres du Sanhédrin ont bien compris que l’assurance de Pierre et de Jean est inspirée par Jésus et qu’il faut réduire celui-ci au silence, ainsi que ses disciples.

Au chapitre 9 des Actes, nous est proposé un autre exemple de la puissance de la conviction dans la parole et dans l’action. Mais la situation est différente : ce ne sont plus des Juifs hostiles qui doi-vent s’incliner devant la force de conviction de Jésus et de ceux qui le suivent. Ce sont les disciples eux-mêmes qui débattent entre eux.
Il s’agit pour Barnabé de persuader les disciples de la sincérité de la conversion de Saül. Car à Jérusalem, les disciples sont encore méfiants devant la soudaineté de cette conversion. Saül ne serait-il pas un agent provocateur ? Saül tentait de se joindre aux disciples ; mais tous avaient peur de lui, ne croyant pas qu’il fût disciple.
C’est Barnabé qui assure la défense de Saül le néophyte, en présence de celui-ci. Et le point qui dissipe tous les malendus est l’assurance, la conviction, la parrêsia avec lesquelles Saül s’est converti et s’est déjà exprimé dans les synagogues de Damas. C’est cette même conviction qu’il manifeste à Jérusalem.
Selon Barnabé, il y a dans la conviction, dans les paroles, dans l’attitude de Saül une sincérité qui ne trompe pas. Les disciples alors sont conquis et Saül est adopté par la communauté.
Nous sommes peut-être tentés au 21ème siècle de sourire d’une marque de confiance qui nous paraît bien naïve et bien risquée dans une communauté si menacée . Mais c’est mal connaître la foi des disciples : pour eux la parrêsia anime tout autant l’assurance intérieure que les manifestations extérieures de la foi. C’est ainsi que la conviction manifestée par Saül en public est garante de sa sincérité. On peut donc l’accueillir dans la communauté.

C’est dans cette perspective que nous allons conclure en présentant un des passages les plus riches du Nouveau Testament sur les valeurs de la conviction, de l’assurance, de la parrêsia. Il s’agit de la fin du chapitre 16 de l’Evangile de Jean : Jésus s’adresse à ses disciples pour la dernière fois :
«... Je vous ai dit tout cela en discours figurés. L’heure vient où je ne vous tiendrai plus de discours figurés(1), mais où je vous annoncerai ouvertement(2) ce qui concerne le Père. En ce jour-là vous demanderez en mon nom, et je ne vous dis pas que c’est moi qui demanderai au Père pour vous ; en effet le Père lui-même est votre ami, parce que vous, vous avez été mes amis et vous avez acquis la conviction que, moi, je suis sorti de Dieu. Je suis sorti du Père et je suis venu dans le monde ; maintenant je quitte le monde et je vais vers le Père.»
—————————————————(Jean 16,25-28)


Les disciples reprennent alors, à leur compte, les paroles de Jésus, comme des enfants, mot à mot, en passant du JE au TU :
«Maintenant tu parles ouvertement et tu ne tiens plus des discours figurés. Maintenant nous savons que tu sais tout et que tu n’as besoin que personne t’interroge ; c’est pourquoi nous croyons que tu es sorti de Dieu.»
—————————————————(Jean 16,29)


Le temps des paraboles et des discours figurés est révolu. L'heure arrive où la parrêsia déploie ouvertement ses valeurs : Je vous annoncerai, en toute lumière ce qui concerne le Père ...

Norbert ADELINE


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A mes risques et périls,
—————je me suis déclaré peintre ...

————————————————Arcabas

———————(ci-contre une peinture d'Arcabas
————————————évoquant le Psaume 150)



Notes :
(1) “discours figurés” correspondent à ce qui est traduit dans certaines Bibles par le mot “paraboles”.
(2)“Ouvertement” est la traduction qui correspond ici à parrêsia dans la Nouvelle Bible Segond. la Bible de Jérusalem, elle, préfère la traduction “en toute lumière” qui rend peut-être plus fidèlement les valeurs de la parrêsia dans ce passage.



L'article qui précède est le texte de l'émission "Un mot de la Bible" sur Fréquence Protestante 100.7 FM du 7 janvier 2006.

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