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L'Apocalypse ... une bonne nouvelle !

“Apocalypse” est un mot de la Bible bien étrange puisqu'il n'apparaît dans aucune des nombreuses traductions françaises de la Bible ... si ce n'est, bien sûr, comme titre du dernier livre du Nouveau Testament.

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Et pourtant, le mot grec apokalupsis, qui a donné le français ‘apocalypse’, est bien présent 18 fois dans le Nouveau Testament grec ; tout comme le verbe apokaluptô qui lui est associé et qui y apparaît 27 fois.
Pourquoi donc ce mot biblique a-t-il ainsi été mis à l'index de façon unanime par les traducteurs des Bibles en français ?

Un mot de la Bible par Patrice ROLIN ...

Pour comprendre cette mise à l'écart du mot ‘apocalypse’ dans les Bibles françaises, il faut prendre en considération les utilisations de la notion d'apocalypse dans le langage profane contemporain.

En effet, ce mot apparaît sur les lèvres et sous la plume des journalistes chaque fois que des événements catastrophiques surviennent. On parle ainsi de scènes apocalyptiques après chaque attentat, chaque tremblement de terre, cyclone ou tsunami.

medium_apocalypseNOW2.2.JPGDe plus, dès qu'on entend le mot ‘apocalypse’, le titre du film choc sur la guerre du Vietnam nous revient à l'esprit : “Apocalypse now”, ‘l'apocalypse maintenant’.
A moins que ce ne soit le récent film de Mel Gibson : "Apocalypto” !

En français, le mot ‘apocalypse’ et l'adjectif ‘apocalyptique’ renvoient presque systématiquement à des destructions massives, à un chaos et à des souffrances au-delà de l'imaginable.

La connotation qui vient ensuite, mais loin derrière, est celle du discours des prophètes de malheur des sectes ‘apocalyptiques’ ou milllénaristes, ceux qui nous prédisent la fin cataclysmique du monde pour bientôt.

Dans le langage courant, le mot ‘apocalypse’ est donc synonyme de mort et de destruction, ou parfois d'ésotérisme sectaire. Mais là est bien le problème, et la raison de l'évitement de ce mot maléfique par les traducteurs français de la Bible.

Pourtant, étymologiquement, le mot grec apokalupsis signifie littéralement “révélation”, “dévoilement”.
Et le verbe grec apokaluptô, signifie, “révéler”, “dévoiler”, littéralement “ôter le voile”,“ouvrir les rideaux” pour voir ce qu'il y a derrière.
C'est le geste que nous faisons le matin en tirant les rideaux.
C'est le geste des élus qui dévoilent une stèle ou une œuvre d'art.
C'est le geste qui ouvre une pièce de théâtre après les 3 coups ...

L'un des tous premiers textes du Nouveau Testament dans lequel ces mots apparaissent se trouve dans la lettre que Paul écrit aux Galates (1,11-17) :

... Je vous le certifie, mes frères, la bonne nouvelle que j'ai annoncée pour ma part n'est pas simplement humaine,
car moi-même je ne l'ai pas reçue ni apprise d'un homme,
mais par une révélation de Jésus-Christ.

——————(une 'révélation' c'est le mot grec apokalupsis)

————————————... / ...
Mais quand il a plu à Dieu, qui m'a mis à part depuis le ventre de ma mère et qui m'a appelé par sa grâce, de révéler en moi son Fils
——('révéler', c'est le verbe grec apokaluptô)
pour que je l'annonce comme une bonne nouvelle parmi les non-Juifs, aussitôt, sans consulter personne, sans même monter à Jérusalem pour voir ceux qui étaient apôtres avant moi, je suis parti pour l'Arabie, puis je suis retourné à Damas.


On comprend bien que les traducteurs français de la Bible n'aient pu traduire “une apocalypse de Jésus-Christ”, et encore moins que Dieu avait “"apocalupté" son fils en Paul” !
Pourtant, quand l'apôtre raconte sa conversion, la rupture radicale dans sa trajectoire de vie, le retournement de ses valeurs, il le fait en employant ces verbes qui signifient le dévoilement. Un chamboulement total, oui, une apocalypse certes, mais une apocalypse qui n'est pas destruction et mort, mais au contraire le dévoilement d'une bonne nouvelle qui réoriente sa vie tout entière.

Au chapitre suivant, c'est encore à la suite d'une révélation que l'apôtre dit avoir décidé de se rendre à Jérusalem. N'allons pas voir là le signe d'un mysticisme exacerbé ; non, Paul déclare simplement que ce qu'il doit faire lui apparaît clairement comme venant de Dieu, au nom de l'Evangile qui lui a été révélé.
Et cette révélation n'est pas réservée à des mystiques exceptionnels, elle est pure gratuité, révélation donnée sans critère de mérite ou de compétence.

Ainsi, dans l'évangile de Matthieu (11,25-27), on retrouve ce verbe apokaluptô (“révéler”, “ôter le voile”) dans une prière de Jésus :

... En ce temps-là, Jésus dit :
«Je te célèbre, Père, Seigneur du ciel et de la terre,
parce que tu as caché ces choses aux sages et aux gens intelligents, et que tu les as révélées aux tout-petits.
Oui, Père, parce que tel a été ton bon plaisir.
Tout m'a été remis par mon Père,
et personne ne connaît le Fils, sinon le Père,
personne non plus ne connaît le Père,
sinon le Fils et celui à qui le Fils décide de le révéler.» ...


Voici donc des révélations, des dévoilements, des apocalypses, qui ne ressemblent pas du tout à ce qu'on entend habituellement par “apocalypse”.
Mais alors, comment comprendre un tel malentendu ?

Il nous faut pour répondre à cette question nous tourner vers le dernier livre de la Bible, celui que l'on appelle couramment l'Apocalypse, ou l'Apocalypse de Jean.
Quelques remarques sur cet intitulé. Il vient des tous premiers mots de ce dernier livre du Nouveau Testament :

Apokalupsis Iêsou Christou ...

C'est-à-dire littéralement “Apocalypse de Jésus-Christ” ; une formule traduite par “Révélation de Jésus-Christ”. Le livre en question entend donc être la révélation, le dévoilement de Jésus-Christ. Et ici, le “de” peut être compris dans deux sens qui ne s'excluent pas :
———Révélation à propos de Jésus-Christ”, il en est l'objet ;
———————————————ou
———Révélation venant de Jésus-Christ”, il en est le sujet.
Autrement dit, l'Apocalypse est la révélation de Jésus-Christ par lui-même !

C'est ici la seule fois que le mot apokalupsis apparaît dans ce dernier livre de la Bible dans lequel un certain Jean, raconte les révélations qu'il reçut alors qu'il était exilé sur l'île de Patmos à la fin du premier siècle après Jésus-Christ. Et il s'agit de la révélation de Jésus-Christ par lui-même.

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En fait, c'est au contenu mal interprété de ces révélations que l'on doit les connotations déplorables du beau mot apokalupsis.
En effet, au fil des chapitres du livres, dans un langage symbolique, se déploient entre autres des visions d'un combat cosmique, un affrontement céleste et terrestre entre des puissances prodigieuses qui ne sont autres que le Diable, sous différentes formes bestiales, et le Christ. Il y a bien d'autres choses dans l'Apocalypse : en particulier différentes liturgies célestes, mais ce sont surtout les images du combat titanesque qui s'y déroule qui ont marqué les esprits et l'imagination des artistes.
Il est vrai que l'évocation des étoiles qui tombent du ciel, un grand dragon rouge, la terre qui ouvre sa gueule, des guerres féroces, des destructions, des incendies ... Cela a de quoi impressionner !
Et pourtant, en rester là, en rester au spectaculaire (qui évoque malheureusement des situations bien réelles, à l'époque, comme aujourd'hui), en rester là c'est se priver de l'essentiel du message de ce livre qui clôt la liste canonique des livres de la Bible chrétienne.
Car, aussi paradoxale que cela puisse paraître, l'Apocalypse est le dévoilement d'une bonne nouvelle : la bonne nouvelle que le mal peut être vaincu, et même qu'il est déjà vaincu. La bonne nouvelle qu'il est possible de résister aux puissances de ce monde.

Tout cela mérite un éclaircissement, et il nous faut faire un bond de plusieurs siècles en arrière pour comprendre l'origine de cette tradition théologique et littéraire qu'on appelle aujourd'hui “l'apocalyptique” :

C'est en effet dans l'ancien Israël, à partir de la période de l'exil à Babylone, au 6ème siècle avant J.C. que certains livres prophétiques comme Esaïe (chapitres 24—27 et 34—35), Ezéchiel (chap. 38—39), puis plus tard Zacharie (chap. 9—14) soutiennent que les tribulations et les crises de l'histoire ne sont pas les fruits du hasard.
Pour eux, l'histoire s'organise en périodes au fil desquelles l'oppression et les persécutions des empires contre les fidèles de Dieu vont crescendo jusqu'à un paroxisme.
Ce paroxisme est en général conçu comme la période contemporaine de crise vécue par le peuple. Et dans cette imaginaire apocalyptique, ce paroxisme de l'affrontement entre les fidèles de Dieu et les puissances politiques, culturelles et religieuses du monde, n'est que le reflet de la lutte que Dieu et Satan se livrent à l'échelle cosmique. Une lutte dont, bien sûr, Dieu sortira bientôt vainqueur.
Et c'est là la bonne nouvelle pour les fidèles. Des fidèles qui résistent parfois au prix de leur vie : Dieu vient bientôt leur accorder la victoire.

Ainsi, l'apocalyptique est un discours d'encouragement dans le combat des petits contre les empires. Certes, il y aura des ravages et des destructions, mais ce ne sont là que le “baroud d'honneur” d'un Satan qui livre sa dernière bataille. Bientôt, il sera définitivement vaincu, et les puissances terrestres qui sont ses agents seront détruites. L'apocalyptique a donc précisément pour fonction de “lever le voile”, de “dévoiler” ce qui se joue “derrière le rideau”, derrière l'histoire humaine, pour dévoiler la fin ultime de cette histoire.
Là où, d'un point de vue humain, il n'y a qu'un combat désespéré d'une poignée de fidèles contre des forces impériales qui les submergent, l'apocalyptique dévoile que ce petit nombre de fidèles du Dieu vivant persécutés sont l'avant-garde d'un Dieu qui va intervenir de façon décisive contre Satan.

Cette littérature de crise qu'est l'apocalyptique s'est particulièrement développée sous la pression culturelle et les persécutions qui se déchaînèrent contre les juifs sous la domination grecque (Séleucides) au second siècle avant Jésus-Christ sous Antiochus IV Epiphane (qui régna de -175 à -164). Des persécutions qui sont évoquées par les livres des Maccabées, et dont on perçoit les échos dans le livre biblique de Daniel, un des livres fondateurs de l'apocalyptique.

Aux premiers siècles avant et après Jésus-Christ, c'est sous la domination romaine que se développe une abondante littérature apocalyptique juive.
Le livre de l'Apocalypse de Jean s'inspire très largement de toute cette tradition séculaire de résistance spirituelle juive à la pression politique, économique, culturelle, et idéologique de l'empire. Mais on est maintenant en milieu chrétien, et ce sont des chrétiens d'Asie mineure qui résistent au développement du culte impérial. L'empereur se faisant adorer comme Dieu.
Ainsi, l'Apocalypse de Jean développe, dans langage symbolique, une analyse fine des ressorts du pouvoir impérial romain : la fascination qu'exerce la puissance économique, culturelle et militaire de l'Empire ;
l'adhésion du plus grand nombre à la pensée unique de cet Empire ; la répression des dissidents qui résistent à cette domination idéologique totalitaire.
Tout cela est “révélé”, “dévoilé” dans le dernier livre de la Bible. Les masques tombent.

medium_lamb.jpgMais au schéma classique de l'apocalyptique juive s'ajoute le motif de la victoire déjà remportée par le Christ sur la Croix. Dans l'Apocalypse de Jean, le Christ ressuscité est principalement évoqué sous les traits de l'Agneau victorieux.

Si, avec leurs faibles forces (à vues humaines) certains martyrs osent jouer leur vie contre “la bête” totalitaire qu'est l'Empire romain, c'est qu'ils ont la certitude que la victoire a déjà été remportée pour eux par le Christ sur la Croix. Pour l'heure, il leur faut tenir bon en attendant la victoire complète et définitive sur le mal. Cette victoire se traduira par la destruction cataclysmique de l'Empire impi. Et c'est précisément là une bonne nouvelle ! 

Mais c'est aussi là la source du malentendu à propos de l'apocalypse quand on n'en retient que l'aspect combat, cataclysme et destruction. S'il y a destruction, c'est la destruction du mal qui est espérée par ceux qui risquent leur vie au quotidien au nom de leur foi :

- Le sens de l'histoire et de leur combat leur y est dévoilé.
- Ce dévoilement, leur révèle la victoire qu'ils espèrent.
- L'Apocalypse les appelle à la persévérance dans l'épreuve.


Ce n'est pas un hasard si le livre de l'Apocalypse est ponctué par 7 béatitudes, et qu'il se conclut par l'avénement d'une nouvelle création débarrassée du mal.

Même si l'on perçoit bien la dimension mythologique de ces récits apocalyptiques, il reste que cette pensée de rupture avec la pensée unique d'un système totalitaire a sans doute encore quelque chose à nous dire aujourd'hui.
Même si l'on est, à juste titre critique, vis-à-vis des égarements auxquels ont conduit des lectures millénaristes ou esotériques de l'Apocalypse, cet appel à la résistance au nom d'un sens de l'histoire “dévoilé” conserve toute sa pertinence.

L'Apocalypse biblique n'est pas d'abord la prédiction de la fin catastrophique du monde.
- L'Apocalypse est un appel à la dissidence et à la résistance confiante vis-à-vis des puissances de fascination du monde.
- L'Apocalypse est la révélation que le combat vaut d'être mené.
- L'Apocalypse est le dévoilement d'une victoire déjà remportée.
- Bref, l'Apocalypse est la bonne nouvelle d'une espérance possible.

Patrice ROLIN

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L'article qui précède est le texte de l'émission
"Un mot de la Bible" Fréquence Protestante 100.7 FM du 2 décembre 2006.


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Pour poursuivre cette réflexion, on lira avec intérêt sur les articles d'Elian CUVILLIER :
Pensée de la fin du monde et apocalyptique, une tension féconde
et
La vision comme contestation de l'idole,
comme aussi sa brève introduction à l'apocalyptique :
L'Apocalypse, c'était demain. Protestations d'espérance au cœur du Nouveau Testament,
aux éditions du Moulin, 1996(2).
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Lire aussi :
Apocalypse 13, “Les deux bêtes”...
Apocalypse 18, “Gens qui rient, gens qui pleurent”...

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Un ouvrage collectif grand public reprenant le mot traité dans cette note, et une vingtaine d'autres mots "passés" du grec dans la langue française est disponible au éditions Passiflores : 

Des mots de la Bible. Le grec que vous parlez sans le savoir.

logos,parole,discours,logique,principe

(chaque mot fait l'objet d'une enluminure par Marie-Hellen Geoffroy)

Editions Passiflores, octobre 2010 (143 pages ; 17 €uros)

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